Ce retour du public vers des interprètes chevronnés, amorcé dès la saison de 1971, se confirme : Gilbert Bécaud fait un malheur à l'Olympia (19 rappels le soir de la première !) et Bruno Coquatrix, qui aurait des raisons d'être blasé, déclare : « À mon avis, l'année 1972 sera l'année de Gilbert Bécaud. »

Plus humain

Après une tournée de 260 représentations dans les cinq continents, les spectateurs ont retrouvé un Bécaud plus humain, moins survolté, fidèle à ses poètes (Amade, Delanoé, Vidalin). À noter, parmi les rares nouveautés : ... Et le spectacle continue, La petite sœur du carmel, et surtout l'étonnant Chante ! Cette chanson n'existe pratiquement pas, puisqu'elle consiste uniquement en une invitation au public à fredonner une mélodie. « Chante ! », crie Bécaud, et la salle, docile, entonne « La, la, la... »

Un autre spécialiste du genre, Guy Béart, réédite en automne, au Théâtre de la Ville, son exploit de la saison passée à Bobino : il suffit qu'il gratte sur sa guitare quelques mesures d'une chanson, pour que toute la salle chante... et Béart n'a plus qu'à accompagner...

Aznavour renouvelle son répertoire avec Les plaisirs démodés, Me voilà seul, qu'il sait étayer en reprenant ses vieux succès : Les deux guitares, La bohème, etc.

Dalida cherche à s'évader de Bambino et de Dirladada. Brassens lui confie des poèmes qu'elle met à son répertoire en vue de tournées dans les maisons de la culture.

Michel Polnareff se crée un personnage caricatural à dessein de choquer son auditoire, mais compose de très belles et très sages musiques de film ; de même Michel Legrand, qui a remporté un Oscar à Hollywood et un prix à l'académie Charles-Cros.

Pierre Perret, dont la série de récitals à Bobino est interrompue à la suite d'une agression (décembre 1971), conquiert le cœur des foules en alternant la rigolade et les sentiments (La cage aux oiseaux). Récitals interrompus aussi, mais pour cause d'absence de public, ceux de Marie Laforêt au Théâtre de la Ville (décembre 1971).

La télévision (1re chaîne) tente une expérience qui se transforme en succès : retransmettre, depuis Bobino, un tour de chant de vedettes de la chanson. Brassens, qui reste (avec Trenet) le numéro un de la chanson française, ouvre le feu, suivi par Gréco, Catherine Sauvage, Guy Béart, Charles Trenet.

Car l'Olympia et Bobino restent les pôles d'attraction de tous les grands de la chanson qui défilent à tour de rôle sur leurs scènes avec une régularité pendulaire : « À voir repasser comme des chevaux de bois, à Bobino, à l'Olympia, tous les douze à dix-huit mois, les routiers du microsillon, la tête vous tourne, vos yeux se brouillent, on en arrive à ne plus savoir que dire à leur propos, que penser » note Claude Sarraute dans Le Monde.

Dans l'ensemble, la saison 1971-72 aura été assez terne. Le répertoire français s'enrichit de quelques chansons de qualité qui portent à un vedettariat peut-être temporaire les artistes qui les interprètent. Mais on peut se demander si ce sont les tubes qui portent les chanteurs... ou les chanteurs qui transforment les chansons en tubes...

Un peu tapageuse

Ainsi, un couple sympathique : Eric Charden et Stone (L'avventura : 1 million de disques vendus), Gérard Palaprat (Pour la fin du monde, Fais-moi un signe), Gilbert Montagné (The Fool), chanteur aveugle que l'on s'est empressé de comparer un peu prématurément à Ray Charles, Gérard Lenorman (De toi, II), mais ce dernier avait déjà remporté comme auteur un succès mérité avec La fille de paille, interprété par Brigitte Bardot. Autre espoir de la chanson, lancé d'une façon un peu tapageuse, ce qui a peut-être contribué à son échec au prix de l'Eurovision : Betty Mars, que les auditeurs (toujours à la recherche d'une autre Piaf) accueillent avec sympathie. Il n'en reste pas moins vrai que ce prix Eurovision, qui a couronné une plate romance : Après toi (Klaus Munro-Mario Panas), a mis en vedette un jeune auteur-compositeur, Frédéric Botton, avec une chanson aux jeux de mots subtils : Comé-comédie. Et pourtant, qui reconnaissait le talent de Frédéric Botton à travers les tubes des années passées : La grande Zoa, La java dis-donc (Régine), Et si j'avais marié un Grec ? (Patachou), L'aigle noir et L'absinthe (Barbara) ?