À côté d'eux, des centaines de milliers de hippies du dimanche et de hippies invisibles — étudiants en rupture de cours, chômeurs, dévoyés de toutes sortes — conservent leur place dans la collectivité, tout en s'adonnant à la drogue et en affectant de mépriser les conventions sociales.

De l'héritage culturel, ils ne retiennent qu'un mélange hétérogène de folklore indien, de communisme primitif et de bouddhisme vulgaire, le tout assaisonné de quelques recettes technologiques. Avides de retrouver « la source naturelle des choses », de redécouvrir « l'accord originel de l'homme et de la nature », ils se passionnent volontiers pour des disciplines ésotériques telles que l'astrologie, qui dévoile, croient-ils, les secrets de l'« unité cosmique ». Inspirés du même esprit irrationaliste, beaucoup aiment à se plonger dans la lecture du livre des I-Ching, ancien texte chinois devenu la bible hippie.

Prêtres du « voyage »

Les hippies entretiennent des rapports particuliers avec Dieu à travers une série de rites où se mêlent pratiques magiques, cérémonials imités des religions orientales et usage massif des hallucinogènes. Le psychologue américain Timothy Leary, promoteur du LSD, fait figure de pape hippie depuis qu'il a proposé à ses adeptes une mystique psychédélique fondée sur les transes artificielles. La cérémonie du voyage (en anglais the trip) est censée reproduire certaines formes d'initiation des sociétés primitives.

De la communion des âmes que les hippies tentent de réaliser dans leurs expériences psychédéliques découle directement leur « philosophie de l'amour ». Croyant que Dieu existe en chaque être humain et en chaque chose, ils croient aussi qu'il ne peut y avoir nulle part place pour la haine. Estimant avoir découvert le chemin du nirvana bouddhique (anéantissement suprême), les hippies se prévalent d'avoir surmonté les « contradictions de la société capitaliste ».

Certains observateurs du phénomène voient là le signe d'une contre-société, appelée encore société alternative, en gestation. Dans leur refus passif d'un mode de vie qu'ils jugent inauthentique, les hippies bâtiraient, au sein même de la société présente, des modèles de sociétés futures.

Les communes

Ces idées trouvent une ébauche d'application pratique à l'intérieur des communes, où les hippies essaient de créer un nouveau type de famille fondé sur l'amour libre et le mariage de groupe. Leur interprétation de diverses recherches psychanalytiques, notamment celles de Wilhem Reich et de Herbert Marcuse, cautionne un effort plus ou moins persévérant en vue de débarrasser les rapports sexuels de toute entrave. Ils pensent ainsi, en n'hésitant pas à s'aventurer contre leurs principes dans le domaine théorique, « libérer Eros » et « atteindre à la jouissance pure de tous les sens et de tous les instants ».

Même aux États-Unis, où elles sont de loin les plus nombreuses, les communes comptent rarement plus d'une centaine de membres. Qu'elles soient urbaines ou, cas le plus fréquent, rurales, elles se caractérisent toutes par une économie collective, la prise en charge par le groupe de l'éducation des enfants et la consommation quotidienne de certaines drogues considérées comme sociales, en premier lieu la marijuana.

En France, un certain nombre de jeunes contestataires et quelques intellectuels, séduits par ce mode de vie, ont fondé des communes dans les régions en voie de dépopulation (Drôme, Ardèche, Vaucluse, Auvergne, Pyrénées).

La soixantaine de communes ainsi constituées s'apparentent davantage aux kibboutz qu'au mouvement hippie en général. Le terme hippie lui-même est souvent utilisé par ces jeunes pionniers dans un sens péjoratif pour désigner les parasites de toute sorte (jeunes drogués, lycéens perturbés) qui sont la plaie des communes. Sous des dehors anticonformistes (liberté sexuelle, nudité de rigueur), ils entendent respecter les lois de la nature et s'appliquent à l'étude de l'agriculture et de l'élevage. Parallèlement aux travaux des champs, ils remettent l'artisanat à l'honneur : céramique dans le cap Corse, tissage et fabrication de bijoux dans les Pyrénées, brocante ailleurs. Un bulletin d'information et de liaison à l'usage des communes, C, publié en France, témoigne de la croissance de ce mouvement, qui n'a pas encore d'idéologie propre et se caractérise surtout par un certain désir de pureté.

Retour à la terre

L'une des premières communes, Drop City, s'installe en 1965 dans le Colorado. En quelques années, des centaines d'autres sont créées. Tantôt communes ouvertes qui accueillent volontiers visiteurs et touristes, et dont la notoriété va de pair avec un certain relâchement de la discipline communautaire. Tantôt simples centres d'hébergement voués rapidement à l'échec. Tantôt groupuscules formés autour d'une bande d'amis, qui vivent repliés sur eux-mêmes. Toutes tirent leurs principales ressources de maigres activités agricoles ou artisanales.