Conduites indépendamment, les découvertes des trois lauréats ont concouru à faire comprendre les phénomènes qui entrent en jeu, d'une part dans la transmission de l'influx nerveux d'une cellule nerveuse (neurone) à une autre, et d'autre part entre l'extrémité du nerf et les fibres musculaires correspondantes. Tout au long d'un même neurone, l'excitation se transmet sous forme d'une onde électrique de dépolarisation. Mais, contrairement à ce qu'on a cru longtemps, il n'y a pas de contact direct d'un neurone à l'autre. Dans l'intervalle entre deux neurones, ou synapse, le signal est transmis grâce à des molécules qui font office de médiateurs chimiques, comme la noradrénaline ; à l'extrémité d'une fibre nerveuse motrice, des décharges d'acétylcholine provoquent la contraction électrique du muscle. Des mécanismes de contrôle empêchent normalement ces substances de s'accumuler quand elles ont rempli leur office. Les travaux des trois lauréats ont conduit à la mise au point de nombreux médicaments (comme les tranquillisants) largement utilisés en cardiologie, en neurologie, en psychiatrie. Ils débouchent aujourd'hui sur la biochimie du système nerveux central. L'activité intime du cerveau, donc celle de l'esprit humain, repose elle-même sur les effets compétitifs de médiateurs chimiques. On a trouvé une grande analogie entre la structure moléculaire de ces médiateurs et celle de drogues psychotropes. Il n'est plus interdit d'espérer que l'on n'arrive bientôt à une théorie unifiée du fonctionnement du système nerveux, impliquant d'importants progrès dans la chimiothérapie des maladies mentales.

Paix

Norman Ernest Borlaug

Né en 1914 à Cresco (Iowa), devenu agronome, il est envoyé par la fondation Rockefeller, en 1944, au Mexique, pour créer des variétés de blé résistantes à la rouille noire, endémique dans ce pays et menaçant de contaminer les États-Unis. Ayant atteint son objectif, il entreprend de croiser la variété obtenue avec d'autres lignées, dont une variété japonaise naine. Les premiers blés mexicains demi-nains accroissent les rendements de 50 %. Ils sont suivis de la création d'autres variétés : de 1945 à 1970, la production passe de 3,5 à 25 millions de quintaux. Malgré une population doublée, le Mexique devient exportateur. Entre-temps, Borlaug a étendu son action à d'autres pays d'Amérique du Sud, à l'Inde, au Pakistan. Le spectre de la famine dans le tiers monde est conjuré. C'est la « révolution verte », bel exemple de la contribution que la recherche scientifique peut apporter à la paix.

Remise en question

Le pays techniquement le plus avancé et qui dispense à ses chercheurs les meilleurs instruments de travail est aussi celui où la science se voit aujourd'hui fondamentalement mise en cause. Aux États-Unis se font jour des courants d'idées hostiles soit à l'effort de recherche en général, soit à ses applications techniques et à l'accroissement, en nombre et en variété, des produits dont il inonde la société de consommation. L'attaque part de l'université elle-même : deux écologistes de Stanford, Paul Ehrlich et Richard Harriman, publient un ouvrage intitulé Comment survivre ? dans lequel ils proposent d'organiser la régression économique dans les pays « sur-développés » et d'empêcher les autres de s'engager à leur tour dans la voie de l'industrialisation.

Pour quoi faire

On peut voir dans ces prises de position extrêmes un reflet de la crise générale des sociétés industrielles, des difficultés de la jeunesse, de la hantise provoquée par la dégradation de l'environnement. Mais la confusion est trop fréquente, dans les esprits, entre la recherche fondamentale et les applications, entre les progrès de la connaissance et ceux de la technologie. S'il est souvent légitime, pour ceux-ci, de poser la question pour quoi faire ?, la négation de la valeur de la science risque bien d'entraîner la négation de l'humanité elle-même.

Ce courant liquidateur a jusqu'ici relativement peu touché l'Europe occidentale. La mise en question de la science s'y manifeste plutôt par un intérêt très vif (non dépourvu de quelque anxiété) pour ses conquêtes les plus récentes. En France, on a vu en quelques mois une floraison d'ouvrages écrits par des scientifiques pour le grand public et qui, en dépit d'une lecture souvent ardue, trouvent une large audience. L'extraordinaire succès du livre de Jacques Monod, prix Nobel (le Hasard et la nécessité), a constitué un événement.