C'est avec ces deux ombres sur sa politique méditerranéenne que G. Pompidou entreprend, le 23 février, son i premier grand voyage officiel à l'étranger, en visitant les États-Unis. Si la substance politique des conversations avec le président Nixon est finalement assez réduite, encore que le contact ait paru bien s'établir entre les deux hommes, le voyage présidentiel est perturbé à Chicago par les manifestations hostiles des sionistes américains, ce qui suscite successivement un geste de mauvaise humeur du président français et une démonstration de courtoisie du président américain.

Avec ces événements, on relève aussi l'évolution de la guerre du Viêt-nam et bientôt du Cambodge, la situation préoccupante au Proche-Orient, les remous suscités par la guerre du Biafra, les préparatifs de la visite de G. Pompidou en URSS, prévue pour octobre, préparatifs marqués notamment par la venue de Gromyko à Paris, la reprise des relations avec les pays de l'Est et en particulier la réception en France, en juin, du chef de l'État roumain, N. Ceausescu, les soucis nés de la négociation entre les deux Allemagnes, enfin les développements de la politique nucléaire et militaire de la France, qui poursuit ses expériences atomiques et transforme, en fin d'année, le service militaire, rebaptisé service national et ramené à douze mois. La fidélité aux principes et à la doctrine de leurs prédécesseurs caractérise essentiellement l'action de Georges Pompidou, J. Chaban-Delmas, M. Debré et M. Schumann, en même temps que cette action alimente, comme il est naturel, le débat politique dans la majorité et entre cette majorité et l'opposition.

Les querelles de la majorité

Chaque décision, chaque mot presque, des nouveaux gouvernants leur vaut tout au long de l'année les accusations des gaullistes les plus ultras et les soupçons des plus orthodoxes. Vieux compagnon et gaulliste de gauche parfois virulent, Louis Vallon va si loin dans la critique et les attaques personnelles qu'il est, à l'automne, exclu de l'UDR et de l'amicale Présence et action du gaullisme. Cette dernière organisation toutefois, et avec elle les Comités de défense de la République (CDR), fondés en juin 1968, ainsi que plusieurs petits groupes gaullistes et, dans une certaine mesure, l'Union des jeunes pour le progrès (UJP), ne répugnent pas à faire connaître souvent et publiquement les craintes que leur inspire tantôt la politique européenne ou étrangère, tantôt la politique monétaire, économique ou sociale, tantôt la « mollesse », pourtant toute relative, du pouvoir face à l'agitation.

Rejoints ou épaulés par plusieurs anciens collaborateurs proches du général — M. Couve de Murville, Messmer, Jeanneney, Capitant —, tandis que d'autres, comme Edgar Faure, préfèrent s'entourer de groupes de travail, ces mouvements et tendances travaillent assez sérieusement l'UDR, qui doit, d'autre part, réagir aux dissensions qui parfois s'élèvent dans la majorité. Ainsi voit-on s'élever des querelles entre A. Chalandon, d'une part, et V. Giscard d'Estaing en octobre, Michel Debré en février, entre M. Poniatowski, secrétaire général des giscardiens et plusieurs membres du gouvernement, entre une fraction de l'UDR et ce même gouvernement, ou encore entre les diverses tendances qui partagent le parti majoritaire.

Mais les dissonances les plus sérieuses s'élèvent à la fin du mois de juin, entre le Premier ministre lui-même et une partie du mouvement gaulliste. J. Chaban-Delmas est pris à parti en termes à peine voilés devant les instances de l'UDR par son secrétaire général, R. Poujade, dont nul n'ignore les liens avec G. Pompidou. L'attaque accrédite la rumeur selon laquelle une mésentente croissante règne entre le président de la République et le chef du gouvernement. Ce dernier réagit tardivement, mais son gouvernement plus encore que lui-même a été sévèrement et publiquement critiqué, l'ouverture déplorée, le mot de trahison de nouveau lancé. Il faudra que G. Pompidou, au soir de la clôture des délibérations du Conseil national UDR des 26 et 27 juin, saisisse l'occasion d'un voyage officiel en Alsace pour procéder à diverses mises au point. Il ne prend pas la défense de son Premier ministre, mais s'affirme comme le chef de la majorité. Il vante sa cohésion, pour répondre aux doutes suscités par les débats de l'UDR. « L'ouverture dit-il, est un état d'esprit et non une fin en soi. » Les institutions sont maintenant acceptées par tous et « la République veut être la république de tous ». Cela signifie, explique le chef de l'État, qu'il faut « une opposition structurée » qui constitue « un aiguillon et l'instrument d'une confrontation féconde ». L'intervention vise, on le voit, à donner un coup d'arrêt aux dissensions qui agitent le camp de la majorité en lui rappelant qu'il convient de consacrer son énergie à se mesurer avec l'opposition plutôt qu'à se quereller.