Tandis que les prestations familiales et les allocations de vieillesse prenaient un retard sensible par rapport à l'évolution générale des revenus, la redistribution des revenus a été limitée par un système de plafond de cotisations maintenu assez bas. Les personnes ayant des revenus modestes cotisent sur l'intégralité de ceux-ci, tandis que les personnes plus favorisées ne cotisent que sur une partie de leurs revenus.

Au lieu de s'étendre à toutes les catégories de la population, le régime général s'est vu doublé par une multiplicité de régimes spéciaux et complémentaires (notamment pour les risques insuffisamment couverts par la Sécurité sociale : retraites, compléments de revenus en cas de chômage), d'où le développement de particularismes qui ont ébranlé la notion de solidarité au profit de celle d'assurance (système dans lequel chacun reçoit en fonction de ce qu'il paie).

En outre, l'apparition de difficultés financières, en provoquant une intervention croissante de l'État dans le fonctionnement de la Sécurité sociale, était beaucoup de sa portée à la responsabilité des assurés gestionnaires, déjà grignotée au fil des ans par une réglementation étendant la tutelle administrative.

Les régimes spéciaux

La Sécurité sociale comporte 34 régimes spéciaux, dont chacun bénéficie de conditions particulières, 20 concernent les retraites et 14 l'assurance maladie. En voici la liste.

Retraites

– Régime des pensions civiles et militaires de retraites (fonctionnaires civils de l'État et militaires de carrière).

– Ouvriers de l'État.

– Imprimerie nationale (en voie d'extinction).

– Service d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes.

– Agents permanents des collectivités locales.

– Marins.

– Entreprises minières et assimilées.

– Société nationale des chemins de fer français.

– Régie autonome des transports parisiens.

– Réseaux secondaires et tramways (en voie d'extinction).

– Industries électriques et gazières.

– Compagnie générale des eaux.

– Banque de France.

– Banque de l'Algérie.

– Crédit foncier.

– Opéra, Opéra-Comique, Comédie-Française.

– Clercs et employés de notaires.

– Chambres de commerce de Colmar, Metz, Paris, Roubaix, Strasbourg, Toulouse.

– Port autonome de Strasbourg.

– Personnel de la Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les mines.

Assurance maladie

– Fonctionnaires civils et ouvriers de l'État.

– Militaires.

– Agents permanents des collectivités locales.

– Marins.

– Entreprises minières et assimilées.

– Société nationale des chemins de fer français.

– Régie autonome des transports parisiens.

– Industries électriques et gazières.

– Compagnie générale des eaux.

– Banque de France.

– Clercs et employés de notaires.

– Port autonome de Bordeaux.

– Chambre de commerce de Paris.

– Personnel de la Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les mines.

Plusieurs milliards

Quelques chiffres expliquent l'essentiel de la réforme instituée par les ordonnances. Déficit du régime général : 1,14 milliard en 1965 ; 1,47 en 1966 ; 2,5 en 1967 ; 5 milliards prévus pour 1970... s'il n'y avait pas eu la réforme. Pourquoi ce déficit ?
– le régime général était grevé de ce que l'on appelle les charges indues, c'est-à-dire de dépenses qui devraient incomber au budget de l'État et non pas à la Sécurité sociale. Leur montant est discuté : de 2 à 4 milliards en 1967. Il s'agit de subventions à certains régimes spéciaux dont l'équilibre est impossible en raison du poids trop lourd des inactifs par rapport aux actifs (agriculture, mines) ; d'une prise en charge de dépenses incombant au budget (Fonds national de solidarité pour les vieillards, fonctionnement de l'administration centrale) ; de frais d'équipement hospitalier normalement imputables à la collectivité, etc.
– la Sécurité sociale était victime d'abus divers qui augmentaient ses dépenses : arrêts de travail trop fréquents, consommation médicale injustifiée...
– un certain nombre d'entreprises en difficulté n'acquittaient pas leurs cotisations (montant cumulé des dettes : environ 2 milliards au début 1968).

Médecine trop chère

Toutefois, ces éléments spectaculaires du déficit ont dissimulé les véritables raisons d'une réforme :
– les dépenses de santé augmentent beaucoup plus vite que les autres dépenses... et que les ressources des Français ;
– les progrès de la médecine sont tels que le libre accès de tous aux thérapeutiques nouvelles pose des problèmes financiers nouveaux. C'est l'exemple classique du rein artificiel, qui, s'il était greffé sur tous ceux qui en ont besoin, mobiliserait le dixième des ressources actuelles de la Sécurité sociale ;
– ces mêmes progrès, en maintenant en vie nombre de personnes qui autrefois auraient disparu, sont source de charges nouvelles, notamment en matière d'handicapés physiques.