Étrange campagne en vérité, qui semble plaquée sur la crise nationale et presque sans relation avec elle. Elle est suivie sans passion, sauf dans les tout derniers jours, d'autant plus qu'elle oppose finalement les mêmes candidats ou à peu près que quinze mois plus tôt, comme s'il ne s'était rien passé entre-temps. Le général de Gaulle s'est contenté d'un entretien télévisé avec un journaliste et il a montré ce jour-là qu'il avait complètement récupéré son punch et sa souplesse. Les apparitions des leaders sur le petit écran intéressent, elles ne passionnent pas. Les chefs de la gauche, et plus que tout autre Waldeck Rochet, se drapent dans le tricolore pour tenter de dissiper l'impression causée par les dirigeants gaullistes, qui les chargent de tous les crimes. Mais il est net que la gauche désunie ne constitue pas une solution de rechange, qu'elle n'inspire pas confiance en face d'un pouvoir qui s'est repris et s'affirme, qu'il n'y a pas d'alternative.

Le raz de marée

Le premier tour, le 23 juin, va le démontrer avec éclat. La poussée gaulliste est forte et générale. Elle entraîne la réélection ou l'élection immédiate de 142 députés UDR ou giscardiens, pour 154 sièges pourvus — on n'en avait jamais vu autant dès la première épreuve. Elle s'exerce aux dépens de la Fédération, du parti communiste et du Centre, qui perdent chacun respectivement un peu plus de 12 p. 100 de leur électorat. Le PSU semble gagner un peu de terrain, mais, outre qu'il est parti de très bas, c'est une illusion, puisqu'il présente trois fois plus de candidats qu'auparavant. 47 électeurs sur 100 ont voté pour la majorité, au lieu de 37 l'année précédente.

Les huit jours qui séparent le premier du second tour de scrutin seront, à l'inverse de ce qui s'était produit en 1967, bien remplis par la majorité, qui entend confirmer son succès. Les ministres s'affairent, les propagandistes se donnent à fond, le général de Gaulle prend la parole à la veille du ballottage. Et c'est le raz de marée.

Le « duel », par le jeu des éliminations (500 candidats environ n'ont pas obtenu les 10 p. 100 fatidiques), des retraits et des désistements, est presque la règle : on en dénombre environ 280 pour 316 sièges an balance en métropole, et 240 opposent un candidat de la majorité à un communiste ou à un fédéré. Les centristes n'alignent plus que 70 rescapés, le PSU n'a plus en lice que 3 représentants, dont Mendès France, qui se heurte, à Grenoble, à Jeanneney. L'accord de la gauche a bien joué et on ne relève aucun cas d'indiscipline : toutefois, les communistes, qui avaient fait aux fédérés cadeau de 13 circonscriptions en 1967 (retirant leur représentant pour un fédéré moins bien placé au premier tour), ne consentent cette fois que trois exceptions.

Il faut noter que, des treize circonscriptions-tests ainsi choisies l'année précédente, onze ont donné cette fois dès le premier tour la préférence au non-communiste. Dans la majorité, il n'y a pas davantage de bavures, et gaullistes ou giscardiens s'effacent au profit du mieux classé d'entre eux. Parfois, les deux familles se retirent pour laisser un centriste se mesurer avec un communiste ; parfois, mais plus rarement, la Fédération fait de même au profit d'un centriste qui a pris une attitude d'opposition et semble avoir des chances de battre un gaulliste.

Tout cela ne changera pas grand-chose. Le soir du 30 juin, la gauche enregistre la plus complète débâcle qu'elle ait eu à connaître depuis longtemps et le gaullisme fait entrer au Palais-Bourbon le groupe le plus nombreux qui ait forcé l'accès d'une Assemblée française. Enfoncé le bloc national de la Chambre bleu horizon de 1919, enfoncé même le parti ultra de la Chambre introuvable de 1815, pourtant élue au suffrage censitaire. Sur 485 sièges (2 ne seront pourvus que le 7 juillet), la majorité en occupe, compte tenu de quelques non-inscrits qu'elle a fait élire et qui lui seront favorables, environ 360. Les communistes n'ont plus que 34 députés au lieu de 73, la Fédération que 57 au lieu de 118, le Centre 27 au lieu de 42, le PSU aucun — P. Mendès France est battu. Si les giscardiens sont passés de 43 à 64 sièges, ils n'en figurent pas moins, pour l'immédiat, parmi les perdants : on n'a plus besoin d'eux, les gaullistes de l'UD Ve dépassent de 50 voix, à eux seuls, la majorité absolue.