Enfin, deux nouveaux venus et une absence achèveront de donner son caractère à la consultation. Les nouveaux venus sont un club, Technique et Démocratie, qui décide deux jours avant la date limite de descendre dans l'arène électorale et réussit à aligner derrière son président Jean Barets 4 candidats de plus que les 75 nécessaires pour avoir accès à la campagne radiotélévisée ; l'autre est le Mouvement pour la réforme improvisé par E. Pisani au lendemain de sa rupture avec la majorité et qui n'investira que 28 représentants. Ni l'un ni l'autre de ces mouvements ne réussiront à faire franchir à un seul de leurs candidats la barre des 10 p. 100 des inscrits qu'il faut passer pour pouvoir se maintenir sur les rangs au second tour.

Quant à l'absence, c'est celle de toute candidature d'extrême droite. Me Tixier-Vignancour tient son Alliance républicaine, d'ailleurs en pleine décomposition, hors de la lutte. Pierre Poujade s'est rallié au régime. Restent les activistes, pieds-noirs ou anciens OAS, qui représentent encore, ici ou là, non une force électorale, mais un appoint utile. Pour les conquérir, on n'ira pas par quatre chemins. Georges Bidault rentre en France et, après quelques formalités judiciaires, peut s'y déplacer et s'y exprimer librement. À sa suite, des avions remplis de colonels et de capitaines de coup d'État atterrissent, en provenance d'Espagne. À l'occasion du 18 juin, le général Salan, le colonel Argoud et les onze derniers condamnés OAS encore détenus sont libérés. L'amnistie générale est promise pour le mois de juillet.

À peins la campagne est-elle commencée que les incidents redoublent, au point qu'on peut se demander pendant quelques heures si les élections ne vont pas, comme hier le référendum, devoir être reportées. Des étudiants parisiens sont allés à Flins, près de Meulan, témoigner de leur solidarité active aux grévistes de Renault qui refusent de reprendre le travail. La police est là, la répression est brutale, un lycéen trouve la mort par noyade dans cette pénible affaire.

Le soir, le lendemain, ce sont de nouvelles flambées de violences à Paris, à Toulouse, dans d'autres villes, de nouveaux ordres de grève des syndicats. À Sochaux, des heurts se produisent entre les grévistes des usines Peugeot et le service d'ordre, faisant un mort, puis un second, et de nombreux blessés, ainsi qu'à Saint-Nazaire, à Nantes...

Une étrange campagne

Le gouvernement choisit cette fois la fermeté : il pense, non sans raison, que les enragés des groupuscules se sont coupés de la masse par leur agitation et leurs excès. Il prononce donc la dissolution d'une dizaine de petites organisations extrémistes et révolutionnaires, mesure qui suscitera des protestations d'ailleurs prudentes dans la gauche non communiste, mais l'approbation tacite du PC, qui apparaît comme un parti d'ordre et n'aime pas être tourné sur sa gauche. En même temps, le dispositif de répression des troubles est considérablement renforcé. On renoncera toutefois à tenter de se saisir de Daniel Cohn-Bendit, qui, interdit de séjour en France, a nargué les autorités, reparu à la Sorbonne après avoir franchi clandestinement la frontière et qui quittera de même le territoire national pour aller « répandre la révolution » en Europe.

Ce durcissement du pouvoir portera ses fruits et il ne restera plus qu'à les cueillir en reprenant le contrôle de la machine universitaire et d'abord des bâtiments occupés par les comités, qui tomberont un à un, sans incidents graves. Mais surtout les thèmes de la campagne de la majorité, déjà esquissés dès le 30 mai, sont désormais fixés et même illustrés quotidiennement aux yeux des Français par les images des échauffourées, les drapeaux rouges et noirs des révolutionnaires, la dénonciation insistante du totalitarisme et de la subversion communiste.

Sur cette toile de fond, où se mêlent un peu dans l'esprit du grand public le PC, ses alliés fédérés et la nouvelle extrême gauche, la tension demeure entretenue, d'ailleurs, d'un côté par l'obstination de groupes ouvriers à retarder la reprise du travail, de l'autre par l'action des comités gaullistes, qui suscitent à Rouen, à Orléans, à La Rochelle, à Arras des incidents graves qui font parfois des morts et provoquent à leur tour des ripostes non moins regrettables.