Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

L'affaire devait être évoquée à Rome, où les Six se sont retrouvés au sommet, les 29 et 30 mai, pour célébrer le Xe anniversaire du traité de Marché commun. Les partenaires de la France ont tous fait des déclarations favorables à une adhésion britannique, avec toutefois des accents plus ou moins chaleureux : passionnés aux Pays-Bas, résolus en Belgique, aimables en Italie, polis en Allemagne. La France a joué habilement du traité de Rome en faisant valoir que celui-ci dispose que les Six doivent se mettre d'accord entre eux avant d'entamer une négociation pour l'adhésion d'un tiers. Autant dire que la conférence de Rome n'a nullement tranché le débat.

La fusion des exécutifs

Cette réunion solennelle n'a d'ailleurs eu que deux résultats concrets : la décision de tenir une nouvelle conférence au sommet avant la fin de l'année, comme le souhaitait la France, mais sans que cela constitue un embryon d'organisation politique de l'Europe, organisation dont les Hollandais ne veulent pas entendre parler sans la présence des Anglais ; la mise en application de l'accord conclu en avril 1965 sur la fusion des exécutifs des trois Communautés européennes.

La fusion avait été retardée par la crise que le Marché commun avait traversée dans le second semestre de 1965 et par des questions de personnes. La crise, née à propos de la politique agricole, concernait en fait les institutions européennes auxquelles le gouvernement français ne voulait rien déléguer de sa souveraineté. On avait fini par trouver un arrangement au cours d'une conférence des ministres des Affaires étrangères des Six qui se tint au Luxembourg en janvier 1966. L'arrangement consistait à constater les divergences sur le recours à la règle de la majorité (refusée par la France pour les questions importantes) et à déclarer que ces divergences n'empêchaient pas de travailler ensemble.

Quant aux questions de personnes, elles intéressaient spécialement Walter Hallstein, président de la Commission du Marché commun, auquel le gouvernement français reprochait ses positions supranationales et ses critiques à l'égard de la politique gaulliste. Paris faisait de son départ une condition de la fusion. Finalement, les Six se mirent d'accord sur le principe d'une présidence tournante, et le Belge Jean Rey, qui avait représenté la Communauté dans la négociation Kennedy, fut choisi comme premier président de la Commission unifiée, à partir du 1er juillet 1967.

Premier président de la Commission unifiée, Jean Rey est né le 15 juillet 1902 à Liège. Docteur en droit, avocat à la cour d'appel, il débute dans la carrière politique comme conseiller municipal de Liège. Élu député en 1939, il sera, après sa captivité, ministre de plusieurs gouvernements, Jean Rey était membre de la Commission de la CEE depuis 1958.

Le tournant

À la même date, le marché unique des céréales est entré en application, suite aux ultimes décisions prises le 1er juin. Jusqu'alors, seuls les marchés des fruits et légumes et de l'huile d'olive étaient effectivement en vigueur d'une manière définitive. Avec les céréales (et ses sous-produits : porcs, volailles et oeufs), c'est plus du tiers de la production agricole qui se trouve réellement européanisé. Cela marque le tournant entre la période de définition de la politique agricole commune et la période de gestion de cette politique.

Les dernières grandes options avaient d'ailleurs été prises en mai-juillet 1966 avec les accords sur le financement de l'Europe verte — concrétisation de la préférence communautaire — et la fixation d'un certain nombre de prix communs. À partir du 1er juillet 1968, la quasi-totalité des produits agricoles doit circuler librement à l'intérieur de la Communauté, tandis que, parallèlement, les droits de douane sur les produits industriels auront complètement disparu entre les Six, avec dix-huit mois d'avance sur le calendrier du traité de Rome.

La négociation aboutit

En même temps qu'elle précipitait l'abolition de ses frontières économiques intérieures, la Communauté réduisait sa protection à l'égard de l'extérieur, à l'occasion de la négociation Kennedy. Celle-ci, proposée par Washington en 1962, à une époque où les Américains croyaient à une entrée prochaine de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, avait initialement pour objet de jeter les bases d'une ambitieuse Communauté atlantique. Avec l'échec de la candidature britannique et la mort du président Kennedy, elle reprit l'aspect plus classique d'une négociation commerciale, tout en restant la plus importante que l'histoire ait connue. Laborieuse, traversée de crises, la négociation finit tout de même par aboutir en mai 1967, avec seulement quelques jours de retard.