Journal de l'année Édition 1967 1967Éd. 1967

La règle générale adoptée à Genève est l'abaissement de moitié des droits de douane sur les produits industriels, progressivement, pendant une période de cinq ans, à partir de 1968. Toutefois, cette règle subit de nombreuses exceptions, ce qui ramène la réduction globale à 35 % environ. Ce qui ne s'était encore jamais vu à une pareille échelle. En outre, les Européens obtiennent des Américains la promesse de faire disparaître des obstacles non tarifaires aux échanges (tel l'American selling price, méthode exorbitante pour protéger les produits chimiques américains).

En contrepartie, les Américains obtiennent certains débouchés pour la vente de leurs produits agricoles en Europe et la participation du Vieux Continent à un programme, d'ailleurs modeste, d'aide alimentaire aux pays pauvres. Faute d'avoir pu se mettre d'accord pour organiser les marchés agricoles mondiaux, les négociateurs ont décidé de relever le prix mondial du blé.

Les conséquences de cette négociation seront d'intensifier la concurrence internationale au cours des prochaines années. C'est ainsi qu'en France la protection douanière sur les automobiles en provenance des États-Unis, de la Grande-Bretagne ou du Japon va passer de 30 % à 11 % en cinq ans ; elle aura totalement disparu dès 1968 pour les voitures en provenance du Marché commun.

Le prix de l'or

Les Six avaient fait la preuve de leur unité dans une difficile négociation commerciale. Ils ont eu plus de peine à définir des positions communes sur les problèmes monétaires internationaux. Si les critiques adressées par la France au système monétaire et aux bénéfices qu'en retirent les Américains sont à peu près admis par ses partenaires, il n'en va pas de même pour les remèdes. C'est ainsi que le gouvernement français n'a jamais pu faire admettre qu'un relèvement du prix de l'or pourrait constituer une solution.

Soucieux de ne pas se trouver isolé dans les discussions internationales, Paris s'est replié sur une proposition de réforme du Fonds monétaire international, tendant à accroître les moyens d'intervention de celui-ci, tout en y accroissant le poids des Six dans les votes. Lancée en janvier 1967 à La Haye, lors d'une réunion des ministres des Finances de la Communauté, l'idée fut reprise à Munich, en avril, dans une conférence de même nature. Entre les trois voies de réforme — relèvement du prix de l'or, création d'une nouvelle unité monétaire internationale qui viendrait s'ajouter au dollar et perfectionnement du crédit international —, les Six ont choisi celle qui les divisait le moins, c'est-à-dire la troisième.

Une période faste

Le bilan de ces mois très favorables à la réalisation de l'unité économique de l'Europe ne serait pas complet si l'on n'y ajoutait les progrès réalisés dans les domaines de la fiscalité et de la politique économique à moyen terme, ainsi que dans celui de la lutte contre la crise du charbon et de l'acier.

En février 1967, les Six ont décidé d'adopter, tous, le même impôt sur le chiffre d'affaires : le système français de taxe à la valeur ajoutée. En 1970, celle-ci sera en application dans tous les pays de la Communauté, ce qui permettra d'éviter que des disparités fiscales viennent se substituer aux frontières douanières, qui auront alors complètement disparu. Toutefois, cette unité du système n'entraîne pas encore l'unité fiscale proprement dite, car chaque pays conserve la liberté de fixer les taux de la TVA à sa guise. Ces taux varieront de moins de 10 % aux Pays-Bas à plus de 16 % en France. Dans le cas de la France, une baisse de la TVA devrait s'accompagner d'une hausse des impôts sur le revenu pour compenser les pertes subies par le budget de l'État. On en reparlera plus tard...

Le programme de politique à moyen terme, adopté au début de 1967 par le Marché commun, n'est qu'un embryon de planification européenne. Il est cependant significatif de l'évolution des esprits, car une telle politique n'aurait pas été acceptée, voilà quelques années, par un pays libéral comme l'Allemagne. Toutefois, nous n'en sommes pas encore à l'ère des plans européens.

Moribonde depuis quelque temps déjà, la CECA a eu, dans cette période faste, un sursaut d'énergie pour faire face à la crise du charbon et de l'acier. Des mesures ont été prises pour faciliter l'écoulement du charbon à coke, ce qui intéresse tout particulièrement l'Allemagne, et l'on s'est efforcé de mettre un peu d'ordre dans la concurrence anarchique sur les produits sidérurgiques. Il ne reste plus à la CECA qu'à expirer dans les bras du Marché commun, comme une mère expire dans les bras de son fils ; elle mourra rassurée.