Divers points l'avaient fait soupçonner d'avoir attiré Ben Barka dans un traquenard et d'avoir été un des complices de l'enlèvement — ce dont il protesta toujours avec une véhémence d'autant plus grande qu'il était un ami personnel et un ami politique du leader de l'UNFP, et qu'il se voyait de ce fait reprocher non seulement un crime, mais la plus lâche des trahisons.

Aux éclats de voix indignés de Bernier, qui criait son innocence, devaient s'ajouter, au fil des audiences, les réparties pittoresques de Lopez, qui avait choisi de jouer le rôle du titi bon enfant. Pour le reste, il y eut peu de pittoresque, mais un dossier volumineux, complexe, sur lequel se greffaient sans fin des interrogatoires, des contre-interrogatoires, des défilés de témoins...

Le coup de théâtre

On vit se succéder à la barre les plus hautes personnalités de la police, du préfet de police au chef de la Sûreté ; on ouït les directeurs du SDECE ; on entendit les réponses apportées par Georges Pompidou et Roger Frey à un questionnaire de la partie civile ; on écouta les journalistes qui avaient recueilli les confidences du truand Figon avant sa mort.

Le réquisitoire avait été prononcé, la plupart des plaidoiries aussi, et le président Perez comme les jurés pouvaient penser être arrivés au bout de leurs peines, quand, le 19 octobre, au seuil de la 37e journée d'audience, se produisit un coup de théâtre.

Venant de Rabat, le commandant Dlimi arrivait à Paris pour se « mettre à la disposition de la justice française », alors que le Maroc, jusque-là, avait opposé une fin de non-recevoir aux demandes de la même justice française. La conséquence la plus immédiate était qu'un nouveau procès — reprenant toute la procédure depuis le début — était rendu inévitable. Ainsi le veut la loi lorsqu'un nouvel accusé se présente avant la clôture des débats.

La Cour eut cependant pitié de deux des accusés : elle accorda le bénéfice de la liberté provisoire à Bernier et au policier Voitot, qui n'était que le subordonné du policier Souchon.

Le second procès

Après une nouvelle instruction, le second procès s'ouvrit à Paria devant les mêmes juges, mais avec de nouveaux jurés, le 17 avril 1967. Les redites qu'il contiendrait fatalement devaient contribuer à atténuer l'intérêt que lui porterait l'opinion publique.

De plus, les débats ne pouvaient que perdre de leur virulence du fait de l'absence de la partie civile. En effet, une coïncidence effrayante avait voulu que trois des principaux avocats qui assumaient la partie civile étaient morts — tous trois terrassés par une crise cardiaque ou une congestion cérébrale — en l'espace de dix semaines. Me Pierre Stibbe s'était effondré en février, à Amiens, tandis qu'il défendait l'Algérien Mehyaoui, accusé du quadruple crime d'Origny-Sainte-Benoîte. Vingt-quatre heures après, le bâtonnier René-William Thorp s'écroulait en pleine audience de la deuxième chambre civile du tribunal de la Seine. En mars, ce fut au tour de Me Michel Bruguier de disparaître brutalement.

Les deux avocats survivants, mécontents qu'on refusât une remise du procès indispensable, à leur sentiment, pour permettre à la partie civile de se réorganiser, décidèrent de renoncer à leur tâche et de quitter la barre.

Ce fut naturellement sur Dlimi, le nouveau venu, que se concentra la curiosité. Quel allait être son système de défense ? Il fut simple. Le chef de la Sûreté de Rabat affirma qu'il était totalement étranger à la disparition de Ben Barka. On l'entendit même dire : « Si je suis ici, c'est pour retrouver Ben Barka. » Il fournit, en outre, un emploi du temps détaillé des heures passées à Paris au moment du rapt — appuyé par des témoignages contestés.

« N'avouez jamais ! »

Tout cela n'arrangeait guère Lopez. Si les jurés admettaient le point de vue de Dlimi, il ne restait plus que lui, Lopez, pour porter la principale responsabilité de l'enlèvement. N'avait-il pas reconnu, en effet, sa participation à l'interpellation du boulevard Saint-Germain ?