Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

archéologie (suite)

Chypre, Anatolie, Grèce

Une telle évolution se retrouve dans presque tous les domaines géographiques, et presque toutes les « archéologies » sont passées par les mêmes étapes. Dans l’île de Chypre, par exemple, dès 1542 un voyageur européen examine les ruines de Salamine. Le xixe siècle est celui des premières curiosités érudites : en 1852 paraît un ouvrage sur les antiquités de l’île ; les épigraphistes étudient les inscriptions chypriotes. La seconde moitié du siècle voit surtout fleurir les archéologues amateurs, dont le plus célèbre est Luigi Palma di Cesnola (1832-1904), qui réunit par acquisition ou fouille une vaste collection d’antiquités. À cette phase un peu désordonnée succède enfin, dans la première moitié du xxe s., une période proprement scientifique avec les travaux de l’expédition suédoise (1927-1931), qui posent les fondements de l’archéologie de l’île. En Anatolie, de même, on voit les voyageurs et les épigraphistes parcourir le pays dès le début du xixe s. ; puis, vers 1880, les fouilles débutent, et la région subit les ravages des pilleurs de sites. Actuellement, archéologues turcs et étrangers procèdent à des fouilles méthodiques.

Seule l’archéologie grecque, longtemps consacrée à l’étude de la Grèce* classique, a eu un destin différent. Les grands sites, depuis longtemps repérés, sont dégagés assez tôt : les fouilles françaises de Délos commencent dès 1872, celles de Delphes en 1892... L’Agora d’Athènes est fouillée de façon systématique de 1931 à 1940, puis de 1946 à 1960. L’abondance des sites célèbres a longtemps écarté l’archéologie grecque de tâches considérées comme moins « nobles » ; elle s’est souvent cantonnée dans le domaine de l’esthétique et de l’histoire de l’art, ainsi contrainte par l’excellence même de son objet. Il lui reste actuellement à se détacher des sanctuaires illustres et des grandes villes des époques classiques, pour étendre largement son champ d’action.

D’une manière générale, l’archéologie a cessé d’être un moyen un peu fatigant de se procurer des objets de musée. Trop souvent consacrée, jadis, au dégagement rapide de vastes portions de terrain archéologique, si ce n’est de villes entières, au détriment de la précision des connaissances, l’archéologie se veut maintenant capable de répondre à une série de questions qu’elle est seule à pouvoir formuler. Cependant son objet demeure le même qu’au siècle dernier : « L’information archéologique est constituée par tous les documents qui, quelle que soit l’époque à laquelle ils se réfèrent, sont obtenus par des fouilles. » (A. Leroi-Gourhan.)


Les méthodes

Les méthodes employées au xixe s. correspondaient exactement au but désiré : pour trouver le plus rapidement possible des objets, il fallait évacuer en un minimum de temps, avec un minimum de dépenses, le maximum de déblais. Il est évident qu’avec de tels procédés chaque objet exhumé était irrémédiablement coupé du contexte qui pouvait en éclairer la signification. Quant à l’architecture en brique crue, qu’on renonçait à dégager méthodiquement, elle était purement et simplement anéantie. Actuellement, les méthodes de l’archéologie moderne ont fait porter l’effort sur trois grands points : la prospection des sites, la fouille elle-même et la datation absolue.


La prospection

Avant de fouiller, il convient de rechercher le ou les sites dont l’étude fournira les meilleures réponses aux questions posées. Ce travail de prospection et d’analyse préalable des sites peut s’effectuer de plusieurs manières.

• La prospection au sol. C’est la reconnaissance sur le terrain, la forme moderne, en quelque sorte, du « voyage archéologique » du siècle dernier ; la méthode de la photographie aérienne n’en a nullement aboli la nécessité. Il s’agit d’examiner le relief, par exemple de repérer, dans certaines archéologies, la présence des tells, ou collines artificielles. Il s’agit également de ramasser le plus de tessons possible. Les tessons de surface ne sont pas exclusivement des vestiges de la période d’occupation la plus récente. Bien au contraire, entre la base d’un tell et son sommet, toutes les périodes sont attestées par ces fragments de céramique sans valeur, mais si précieux aux yeux de l’archéologue. Le résultat essentiel du « survey » d’une région est donc de fournir une typologie de la céramique qui y est représentée. Certaines vastes contrées, comme l’Anatolie orientale, ont ainsi fait l’objet de prospections qui, à peu de frais, sans fouille, ont fourni un matériel apte à donner ensuite de précieuses indications sur l’archéologie de la région.

• La prospection aérienne. Elle permet de compléter la prospection au sol dans des cas bien précis. En effet, les sites antiques ont marqué le terrain et y ont laissé des traces. Celles-ci sont cependant fort peu visibles, évanescentes, estompées. La photographie aérienne, bien interprétée, permet de les restituer. On a ainsi pu localiser, surtout en Europe, mais aussi en Afrique du Nord et en Syrie, de nombreux vestiges anciens : fossés, villas romaines, routes antiques, centuriations, etc. Si spectaculaires que soient les résultats, la photographie aérienne n’est cependant pas une panacée. Dans bien des régions, son emploi est difficile : ainsi dans les zones à forêts denses, où les faibles vestiges n’apparaissent pas et où les grands sites seuls sont clairement repérables (villes aztèques du Mexique, sanctuaires de l’Asie du Sud-Est). La photographie aérienne ne fournit alors qu’un excellent moyen d’enregistrement des données, en conservant une image saisissante d’un site trop étendu pour être embrassé d’un seul coup d’œil. Par ailleurs, même dans les cas favorables, les risques d’erreur sont trop nombreux pour qu’une vérification au sol des hypothèses formulées ne soit pas nécessaire à chaque fois. On est ramené, une fois de plus, à la fouille.

• Les méthodes électromagnétiques et électriques de prospection. Dans des cas particuliers, on peut recourir à un ensemble de procédés physico-chimiques (prospection scientifique), dont l’emploi est toutefois limité. Ces méthodes, coûteuses la plupart du temps, ne servent guère qu’à vérifier si des sites, déjà repérés par d’autres moyens, méritent d’être explorés par la fouille. La prospection magnétique, fondée sur le même principe que le déminage en temps de guerre, n’est guère employée. Elle permet de détecter la présence dans le sol des objets métalliques, mais seulement à une faible profondeur. La prospection électrique semble plus intéressante. Elle repose sur un principe assez simple : l’eau est bonne conductrice du courant électrique ; celui-ci passe donc plus ou moins bien suivant la quantité d’eau contenue dans le sol. La résistance opposée au courant électrique par un fossé, où l’eau est drainée, est faible, mais celle qui est offerte par un mur de pierre est plus grande. Ainsi la présence de murs, de fossés, de terrassements change la conductivité électrique du lieu, ce qui est facilement mesurable à l’aide de potentiomètres. Les graphiques obtenus indiquent, une fois interprétés, l’emplacement exact des vestiges soupçonnés.