Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

archéologie (suite)

Avec la Renaissance, la connaissance scientifique de l’Antiquité fait ses premiers pas : on copie des inscriptions, on recueille des médailles. « Il n’y a pas encore une archéologie, mais il y a déjà des archéologues ou, tout au moins, des érudits qui ont l’esprit de l’archéologue, sans en appliquer encore les méthodes » (P. M. Duval). La fouille existe cependant, mais elle a pour seul but de retrouver des objets d’art enfouis, nullement d’examiner leur contexte archéologique. Elle ne se distingue donc en rien de la trouvaille fortuite, qui la stimule.

Il faut attendre le xviiie s. pour pouvoir citer les premiers exemples d’un véritable travail archéologique. Deux noms sont à retenir : le Français Caylus et l’Allemand Winckelmann. Le comte de Caylus (1692-1765) compose un Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises (1752-1757). Johann Joachim Winckelmann (1717-1768) contribue à la naissance de l’histoire de l’art (Histoire de l’art antique, 1764). Cette époque voit les premières fouilles systématiques. Les travaux sur le site d’Herculanum sont entamés en 1709, et ceux de Pompéi se développent à partir de 1748. On commence à se rendre compte que, dans certains cas, on peut reconstituer la vie antique par l’étude des vestiges fossilisés dans le sol. La seconde moitié du xviiie s. voit même se répandre un engouement pour l’Antiquité beaucoup plus vif encore que le goût du public d’aujourd’hui pour la découverte archéologique, puisque l’ameublement, la décoration, la mode même en subiront les conséquences.

Si les hommes du xixe s. ont bien souvent une conception fort romantique de la découverte de l’Antiquité, certains font preuve d’un souci scientifique. Dès 1822, l’Égypte bénéficie du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion, conséquence de l’expédition de Bonaparte. Les grandes institutions de la recherche archéologique voient le jour l’une après l’autre ; ainsi, l’École française d’archéologie d’Athènes (1846), l’Institut allemand d’archéologie (1874). L’élan est désormais donné ; les découvertes se succèdent à un rythme rapide, tandis que, peu à peu, une méthode particulière de recherche est mise au point.


L’archéologie orientale

L’histoire de l’archéologie orientale fournit un bon exemple de cette évolution. Au début du siècle, fort peu de documents ou de sites sont connus des Européens. Mais le déchiffrement des documents cunéiformes peut être considéré comme acquis en 1857. C’est justement l’époque où l’Assyrie attire les premiers fouilleurs : pendant quarante années, le triangle assyrien va retenir et captiver l’attention. On découvre Khursabād, Ninive, Nimroud, Assour. Ces grandes fouilles, qui font aujourd’hui quelque peu figure de chasse au trésor, ont au moins le mérite — au prix, malheureusement, d’une véritable mise à sac des sites — de livrer également une quantité incroyable de textes sur tablettes, en particulier la fameuse bibliothèque du palais d’Assourbanipal à Ninive. Une correspondance frappante s’établit, aux yeux du public, entre les résultats des fouilles, les traductions des textes et le seul moyen de connaissance de l’Ancien Orient dont disposaient les savants quelques décennies auparavant : la Bible. L’enthousiasme est à son comble lorsqu’en 1872 on annonce la découverte d’un récit du Déluge rigoureusement parallèle au récit biblique. Jamais, peut-être, l’archéologie n’était apparue autant comme un complément indispensable de la connaissance historique. L’intérêt se déplace alors vers le sud, et les investigations portent sur Babylone, Ourouk, Suse... À partir de 1877, le site de Tello, fouillé par Ernest de Sarzec (1832-1901), révèle l’existence de la civilisation sumérienne. Mais, peu à peu, la conception même de l’archéologie se transforme. On cherche à dépasser le niveau de la « chasse à l’objet » pour s’essayer à de grands dégagements, où les architectes jouent le premier rôle. Babylone est ainsi explorée systématiquement par une équipe allemande.

La guerre de 1914-1918 interrompt évidemment ces travaux. Mais l’entre-deux-guerres, qui institue dans une grande partie du Proche-Orient le système des « mandats » confiés à des puissances occidentales, permet en vingt ans une succession ininterrompue de découvertes grâce à l’organisation assez systématique de chantiers de fouilles répartis sur l’ensemble de l’Ancien Orient. Les dégagements horizontaux de quartiers entiers de villes antiques sont alors de règle. Mari, Ras Shamra, les villes de la Diyālā, Our, Ourouk, la liste serait longue, même si l’on voulait ne mentionner que les plus célèbres. Certains fouilleurs, cependant, commencent à procéder verticalement, par des sondages limités en étendue mais poussés le plus profondément possible, quelquefois jusqu’au terrain vierge, but ultime rarement atteint. Ils cherchent ainsi à retrouver la superposition des niveaux successifs d’habitation et à classer le matériel obtenu en une chronologie relative, peut-être transformable en chronologie absolue. Cette période de vingt années fournit une telle masse de documents et de renseignements de toute sorte que les savants ne parviennent plus à l’assimiler au fur et à mesure de son apparition, ni même à publier leurs propres découvertes. Certains d’entre eux voient même dans la Seconde Guerre mondiale, qui, de nouveau, vient interrompre la recherche sur le terrain, une sorte de répit bénéfique qui contraint les fouilles fébriles à céder enfin le pas aux travaux d’analyse et de synthèse indispensables : ainsi, Henri Frankfort (1897-1954) inaugure à Chicago, dès 1939, un séminaire de stratigraphie comparée qui permet, après guerre, la parution de quelques études de fond. La paix revenue, les recherches reprirent, mais à un rythme plus lent.

Actuellement, les objectifs de la fouille se diversifient et les méthodes évoluent. Les centres d’intérêt se modifient : si l’œuvre d’art ou le monument demeurent évidemment des documents privilégiés, le savant s’intéresse également à l’histoire sous une forme plus humble, mais peut-être plus fondamentale : vie quotidienne des sociétés disparues, habitat, alimentation, technologie... On cherche à résoudre — ou au moins à poser — des problèmes insoupçonnés il y a peu de temps : mécanismes de la sédentarisation, processus de l’urbanisation, origines de l’agriculture et de l’élevage, etc. On s’oriente vers une recherche limitée en étendue, répondant le plus possible à un programme d’études. Mais la monographie d’un site reste l’élément fondamental. Ainsi, l’archéologie orientale est passée, en peu d’années, de l’époque des pionniers à l’âge d’or de la recherche à grande échelle, et se tourne aujourd’hui vers un travail peut-être moins spectaculaire mais riche de possibilités nouvelles.