Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Ces diverses limitations n’épuisent pas toutefois les privilèges de l’armateur. À côté de ces limitations, en quelque sorte « globales » et qu’il peut opposer à ses cocontractants comme aux tiers, l’armateur peut, de surcroît, à l’occasion de chacun des contrats qu’il conclut, invoquer contre son cocontractant la limitation particulière prévue par le régime applicable à ce contrat.

L’affaire du Torrey Canyon

Le 18 mars 1967, à 8 h 50 du matin, le Torrey Canyon, pétrolier libérien de 119 000 t de port en lourd, qui se dirigeait vers le port britannique de Milford Haven, s’échouait sur un récif des Sorlingues, au large de la côte de Cornouailles. Sa cargaison, libérée par la rupture de ses citernes, dérivait vers les côtes anglaises et françaises, où elle allait causer près de 60 millions de dommages ultérieurement réglés par les assureurs du navire. Devant l’émotion soulevée dans l’opinion publique par le sinistre et ses conséquences, le gouvernement britannique saisissait l’O. M. C. I. dès le 31 mars 1967 pour que toutes mesures soient prises, notamment sur le plan juridique, pour éviter tout nouveau sinistre ou en limiter les conséquences. Du travail alors entrepris par l’O. M. C. I. devaient naître deux conventions internationales, signées à Bruxelles en novembre 1969. La première est la Convention sur l’intervention en haute mer, qui donne à l’État riverain le droit d’intervenir sur un navire étranger, même en haute mer, lorsque ses côtes sont menacées par la pollution. La seconde est la Convention sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (v. deux régimes spéciaux).

Deux régimes spéciaux de responsabilité : navires nucléaires et pétroliers

Le droit maritime connaît deux régimes de responsabilité applicables dans des domaines très spécifiques. Le premier concerne les navires à propulsion nucléaire et résulte de la convention internationale de 1962, dont les dispositions ont été introduites dans le droit français par la loi du 12 novembre 1965. L’autre concerne les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures et résulte de la convention du 11 novembre 1969, l’une des conventions internationales suscitées par le désastre du Torrey Canyon. Les deux régimes ont des points communs, les deux textes instituant une responsabilité de plein droit, qui existe sans qu’aucune faute ait à être prouvée par les victimes du dommage et qui ne peut être écartée que dans des situations exceptionnelles. Mais ils diffèrent sur plusieurs points.

La responsabilité de l’exploitant de navires nucléaires est particulièrement lourde, écartée seulement en cas de guerre ou dans l’hypothèse, fort improbable, où l’accident résulte de la faute volontaire de la victime. La responsabilité pour dommage par pollution est moins stricte, étant exclue non seulement en cas de guerre, mais aussi quand l’accident est la conséquence d’un phénomène naturel de caractère exceptionnel, du fait volontaire d’un tiers, ou lorsqu’il résulte de la négligence du gouvernement responsable de l’entretien des aides à la navigation (feux, balises) dans les eaux où l’accident s’est produit. D’autre part, cette dernière responsabilité pèse non sur l’armateur en tant que tel, mais sur le propriétaire du navire. La règle s’explique par le souci des rédacteurs de la convention de permettre de trouver sans mal un responsable, alors que l’expérience a montré qu’il est parfois difficile de savoir qui exactement exploite un navire pétrolier.

Mais c’est surtout au niveau des limitations de responsabilité que les deux textes de 1962 et de 1969 diffèrent. En matière de navires nucléaires, la responsabilité de l’exploitant est limitée à une somme d’environ 600 millions de francs (1,5 milliard de francs Poincaré), chiffre ramené à 500 millions par la loi française. L’importance de cette somme explique que la limitation subsiste, même en cas de faute de l’exploitant. En matière de pétroliers, la limitation de responsabilité s’établit à un taux beaucoup plus faible. Elle est de 800 francs (2 000 francs Poincaré) par tonneau de jauge. De surcroît, elle est plafonnée, quel que soit le tonnage du navire, à une somme de 85 millions de francs (210 millions de francs Poincaré). Elle est exclue toutefois par la faute du propriétaire. Ainsi établie pour les pétroliers, elle a suscité d’assez vives critiques. Fixer un plafond quel que soit le tonnage du navire ne peut qu’inciter les armateurs à faire construire des pétroliers de plus en plus gigantesques. En effet, dès lors que leur pétrolier atteindra le tonnage correspondant au plafond (105 000 tonneaux), un coût d’exploitation au moins — le coût de l’assurance — sera plafonné quelle que soit la dimension du pétrolier ! Or, il n’est pas sûr que ce soit là souhaitable pour la sécurité des mers. D’autre part, le chiffre de 800 francs par tonneau de jauge peut apparaître comme insuffisant. La timidité des chiffres adoptés en 1969 a été expliquée par la difficulté pour les assureurs de couvrir des risques plus élevés. L’argument laisse sceptique si l’on observe que, par exemple, les Boeing « 747 » ont, dès 1970, trouvé des assureurs prêts à les garantir dans la limite de sommes considérables, atteignant trois à quatre fois le plafond de la convention. Aussi bien, propriétaires de pétroliers comme entreprises pétrolières internationales ont-ils perçu l’insuffisance des textes de 1969. Dès 1970, les premiers ont mis en place un fonds de garantie privé, le fonds TOVALOP, susceptible de prendre en charge la réparation des dommages par pollution. Le 18 décembre 1971, une nouvelle convention était signée à Bruxelles, prévoyant la constitution, cette fois par les entreprises pétrolières, d’un fonds international qui pourrait indemniser les victimes de pollution maritime dans la limite de 180 millions de francs (450 millions de francs Poincaré).


Le régime des contrats conclus pour l’exploitation du navire

Les contrats* conclus pour l’exploitation des navires de transport ne sont pas d’un type unique. Depuis la fin du xixe s., une distinction fondamentale s’est imposée : la distinction entre le contrat de transport et le contrat d’affrètement au voyage.

• Les contrats de transport sont conclus entre un armateur qui, exploitant un liner, se présente comme un transporteur assurant un service régulier entre tel ou tel port et les chargeurs qui désirent expédier un ou plusieurs lots de marchandises diverses.