Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Exploitation du navire et responsabilité

S’agissant de la responsabilité de l’armateur, le principe premier est celui du droit commun. L’armateur répond des actes de ses préposés maritimes aussi bien que terrestres. Mais les exceptions apportées à ce principe viennent en réduire considérablement la portée, que soient en cause la responsabilité de l’armateur à l’égard de ceux qui ont contracté avec lui ou sa responsabilité à l’égard des tiers.

C’est une règle qui a toujours, en fait, été appliquée par le droit maritime, que l’armateur ne répond pas du dommage causé aux marchandises que transporte son navire lorsque le dommage est la conséquence d’une faute de navigation commise par son capitaine, faute entendue au sens large, comme incluant toute erreur dans la conduite même du navire, mais aussi les fautes ayant rapport à la sécurité du navire ou à l’utilisation de ses équipements (à l’exclusion de ceux qui concernent directement le soin de la marchandise). La règle, longtemps imposée par les armateurs dans les contrats conclus par eux et devenue ainsi clause type (la négligence clause, selon la terminologie anglaise), figure aujourd’hui tant dans le texte de la convention internationale sur les transports sous connaissement que dans toutes les législations des pays maritimes. Un temps, la même règle a été admise en matière de transport de passagers, les tribunaux déclarant valables les négligence clauses des billets de passage. Depuis la conclusion de la convention internationale de 1961 sur le transport de passagers, c’est cependant la règle opposée qui tend à se généraliser et qui a été incluse par la France dans la loi du 18 juin 1966. Non seulement le transporteur de passagers est garant de la faute de son capitaine, mais cette faute est présumée en cas de sinistre grave (naufrage, abordage, incendie), le passager pouvant ainsi établir aisément la responsabilité du transporteur. Mais responsabilité établie ne veut pas nécessairement dire responsabilité assumée dans sa totalité, l’armateur bénéficiant, dans la plupart des cas, d’un régime de limitation de responsabilité.

Le régime de limitation de responsabilité de l’armateur a longtemps été dominé par la théorie de l’abandon du navire, connue dès le Consulat de la mer et reprise dans l’article 216 du Code de commerce de 1807. L’armateur mis en cause à la suite d’un accident survenu par la faute du capitaine, par exemple après un abordage, se dégageait de toute responsabilité en faisant abandon du navire dans l’état où celui-ci était après l’accident. Ce droit d’abandon était maintenu même si le sinistre avait entraîné mort d’homme et même si le navire gisait par le fond. Les créanciers, cependant, n’étaient pas tout à fait sans recours, l’armateur devant inclure dans l’abandon le fret, c’est-à-dire les sommes gagnées par le navire durant le voyage où l’accident était survenu. Malgré ce palliatif, la théorie de l’abandon était d’une brutalité extrême si l’on considère que, très souvent, l’armateur demeurait indemne du sinistre, étant indemnisé, quant à lui, de la perte de son navire par son assureur. Ce n’est pourtant qu’en 1967 que la théorie de l’abandon a été écartée par le droit français, qui lui a substitué un système de limitation en valeur, celui-là même qui avait été admis par les rédacteurs de la convention internationale de 1957 et qu’ils avaient emprunté au droit anglais, qui le connaissait dès le milieu du xixe s.

Aujourd’hui, l’armateur qui veut bénéficier de la limitation de responsabilité doit constituer un fonds de limitation d’un montant d’environ 400 francs par tonneau de jauge du navire si le sinistre n’a eu que des conséquences matérielles, de 1 250 francs par tonneau si le sinistre a entraîné des dommages corporels (l’imprécision des chiffres ici avancés s’explique par le fait que ces chiffres sont ceux de la convention internationale, où ils sont exprimés en francs à 65 milligrammes d’or, dits « francs Poincaré »). En pratique, le propriétaire d’un car-ferry de 3 000 tonneaux de jauge, susceptible de transporter 800 passagers, verrait donc sa responsabilité plafonnée à la somme de 3 750 000 francs, alors même que nombre de ses passagers aurait péri ! Une fois constitué, le fonds sera réparti entre les créanciers proportionnellement au montant de leur créance, chacun pouvant ainsi n’être payé que partiellement.

La loi nouvelle précise qui peut prétendre à la limitation qu’elle institue : le propriétaire du navire, mais aussi l’armateur non propriétaire ou toute autre personne exploitant le navire pour son compte, voire le capitaine si sa responsabilité personnelle est recherchée. Ce dernier bénéfice d’ailleurs de la limitation alors même que sa faute serait prouvée, tandis qu’il en est différemment pour l’armateur. Si l’accident source de responsabilité est en tout ou partie la conséquence de la faute de l’armateur, celui-ci est exclu du privilège de la limitation et doit indemniser les victimes. Et les tribunaux se montrent en général sévères à son égard, telle la Chambre des lords dans une décision rendue par elle en 1960 dans l’affaire du Norman, où cette haute juridiction a considéré qu’avait commis une faute personnelle l’armateur qui n’avait pas averti par radio l’un de ses chalutiers de la découverte récente de nouveaux récifs sur la côte du Groenland, dans la zone même où ce chalutier était en action de pêche et devait se perdre corps et biens.

À côté du régime analysé ci-dessus, il existe deux autres régimes de responsabilité, applicables dans des domaines spécifiques. Le premier concerne les navires à propulsion nucléaire et résulte de la convention internationale de 1962, dont les dispositions ont été introduites dans le droit français par la loi du 12 novembre 1965. La convention fait peser sur l’exploitant de navire nucléaire une responsabilité de plein droit, qui existe sans qu’aucune faute ait à être prouvée par la victime d’un dommage nucléaire. Cette responsabilité a un caractère presque absolu, étant écartée seulement en cas de guerre ou dans l’hypothèse, fort improbable, où l’accident résulte de la faute volontaire de la victime. Elle est, cependant, limitée à une somme d’environ 600 millions de francs (1,5 milliard de francs Poincaré), chiffre ramené à 500 millions par la loi française, et l’importance de la somme explique que cette limitation subsiste même en cas de faute de l’exploitant. Le second régime particulier concerne les dommages dus à la pollution par hydrocarbures.