Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musique de chambre (suite)

Puis, de 1800 à 1815 environ, Beethoven laisse soupçonner dans ses dernières sonates pour violon et piano, les 3e, 4e et 5e sonates pour violoncelle et piano, le trio en si bémol, dédié à l’archiduc Rodolphe, op. 97 (1811), les trois quatuors Razumovski op. 59 (1806), qu’il est bien décidé à explorer toutes les possibilités compositionnelles de la musique de chambre. Que ce soit la structure de l’œuvre entière ou celle d’un mouvement particulier, la thématique, l’harmonie, le contrepoint, le timbre, tout doit tendre à former un complexe musical de plus en plus orienté vers l’abstraction d’un jeu musical pur. On peut juger que, le même effort portant aussi sur la symphonie, la sonate et le concerto, il s’agit alors d’une méditation générale sur les virtualités de l’art musical. Mais, en 1822, Beethoven, que les circonstances historiques, le renoncement à sa carrière de pianiste et de chef d’orchestre et les infirmités ont progressivement coupé du monde, se consacre de nouveau à la musique de chambre. Il choisit la forme du quatuor à cordes et mène à leur apogée de réalisation toutes les recherches précédemment disséminées dans d’autres œuvres.

Il n’est sans doute pas d’ouvrages plus importants pour l’histoire de la musique de chambre que les 13e, 14e et 15e quatuors op. 130, 131 et 132 (1825-26). Il n’est pas d’éléments musicaux ou extramusicaux que Beethoven n’ait utilisés et transfigurés vers l’abstraction pure dans ces œuvres ultimes : l’emploi de la fugue (1er mouvement du 14e quatuor), l’art de la variation de complexité croissante, l’emprunt à la danse (Alla danza tedesca dans le 13e quatuor) aussi bien que l’appel à la philosophie (« Chant de reconnaissance d’un convalescent à la Divinité, dans le mode lydien », fragment du 15e quatuor). Tout semble orienté vers une fusion de formes musicales diverses et de climats psychologiques opposés en une seule structure qui semble s’engendrer elle-même au fur et à mesure de son déroulement (14e quatuor).

Cette fusion sublimée de la sensibilité humaine et de la recherche musicale, jugée à l’époque terriblement intellectuelle, eut pour première conséquence d’impressionner si fortement les successeurs de Beethoven que ceux-ci, intimidés, réduisirent considérablement leur production de musique de chambre.

Ainsi, au xixe s., se précisa l’idée que la musique de chambre réclamait de la part du compositeur une ascèse certaine dans l’acte d’écrire des œuvres destinées à un public raffiné uniquement préoccupé de musique pure. En tout cas, la quête passionnée de Beethoven vers l’absolu en musique par le truchement de la musique de chambre influença les réactions de tous les musiciens du xixe s. vis-à-vis de ce genre musical.

Les créateurs tourmentés par les problèmes de l’opéra, de l’orchestre symphonique ou de la virtuosité, tels Berlioz, Liszt, Verdi et Wagner*, n’écrivirent pas de partitions de chambre, jugeant leurs efforts incompatibles avec le refus du spectaculaire exigé par la musique de chambre. Certains musiciens voulurent renouer avec la simplicité de Haydn : Louis Spohr (1784-1859), Georges Onslow (1784-1853). D’autres s’efforcèrent d’adapter les thèmes romantiques aux structures léguées par Haydn et Beethoven, tels Schubert (quatuor la Jeune Fille et la mort, 1826) ou Mendelssohn*. D’autres enfin, comme Brahms* ou, plus tard, Max Reger (1873-1916), trouvèrent dans l’exercice de ce genre intime une sorte de refuge face au gigantisme des ouvrages réclamé par le romantisme déclinant : ni Mahler* ni Bruckner* ne se consacrèrent à la musique de chambre.

Qui plus est, le quatuor à cordes devint le symbole de l’art musical dans sa quintessence. À l’extrême fin du siècle, Saint-Saëns* notait justement que, pour composer un quatuor, il fallait « recommencer vingt fois et graver cela dans la pierre dure. Haydn n’y mettait pas tant de malice : il écrivait au courant de la plume, sachant qu’il ne lui échapperait aucune incorrection. » Aussi voit-on nombre de compositeurs, tels les musiciens français, écrire « leur » unique quatuor qui prend valeur de somme expérimentale — Debussy* (1893), Ravel* (1903), Roussel* (1932), Florent Schmitt* (1948) — ou de message ultime : C. Franck* (1889), Ernest Chausson (1899), Fauré (1924).

Toutefois, les progrès de la facture de certains instruments (surtout le piano et presque tous les instruments à vent) autorisèrent une multiplicité de combinaisons sonores nouvelles dans un même ensemble. Les compositeurs vont donc poursuivre la conquête de tous les éléments musicaux ou paramusicaux qui leur semblent pouvoir enrichir leurs œuvres de musique de chambre. L’introduction d’un vocabulaire psychologique se manifeste par l’abandon des titres italiens (allégro, andante...) au profit de notations personnelles (« Avec énergie et passion », indique Schumann en tête de son 1er trio avec piano de 1847) ou de titres nouveaux : Phantasiestücke, Duo, Romance, Élégie, pièces écrites pour les formations instrumentales les plus diverses. Ces notations personnelles peuvent recouvrir des éléments biographiques (Tchaïkovski*, sextuor Souvenirs de Florence, 1890), voire autobiographiques (Smetana*, 1er quatuor Pages de ma vie de 1876), ou une transposition littéraire, tel le quatuor en mi mineur (1923) de Janáček*, basé sur l’essai de Tolstoï la Sonate à Kreutzer.

Parfois, l’œuvre emprunte au domaine du descriptif (Schumann, Marche funèbre du quintette avec piano de 1842) ou au pittoresque (Saint-Saëns, le Carnaval des animaux, 1886). La veine populaire peut être exploitée par des emprunts au folklore local ou par invention : Sérénade op. 12 (1920) de Zoltán Kodály* ou 2e quatuor (1941) de Serge Prokofiev*. Les compositeurs n’hésitent plus à réutiliser la voix en la traitant de façon différente depuis Arthur Honegger* dans son œuvre Pâques à New York (1920, pour quatuor à cordes et voix déclamante) jusqu’à Betsy Jolas (née en 1926) dans son Quatuor II (1964, pour trio et voix utilisée comme un instrument, pour sa sonorité).