Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musée (suite)

Les conceptions des encyclopédistes, qui voient déjà dans l’art un produit de la société et se font les apôtres de sa diffusion, expliquent que le gouvernement révolutionnaire ait voulu présenter, autant que faire se pouvait, un panorama complet de l’histoire de l’art. Ces tendances existaient déjà dans la doctrine du comte d’Angiviller (1730-1809), directeur des Bâtiments sous le règne de Louis XVI et auteur du premier projet de « Muséum central ». Dans l’esprit de cet administrateur, responsable au reste de judicieux achats, le musée devait être l’une des pièces essentielles d’un système de dictature des arts. La Convention, créatrice au Louvre* du « Muséum central des arts », premier musée national en Europe (1793), suivit elle aussi un parti autoritaire et didactique, voyant dans l’œuvre d’art un document plus qu’un objet de plaisir esthétique. Dans l’intention de créer des musées en province furent constitués dès 1792 des dépôts d’œuvres confisquées aux communautés religieuses et aux aristocrates. Mais la situation politique ne permit pas de mener le projet à bien avant 1798. La conception de ces musées était celle de Louvres en réduction et ne manifestait aucun intérêt pour les écoles régionales. Les provinciaux avaient droit, au nom de l’égalité, à la culture artistique universelle, étant entendu que « Paris devait se réserver les chefs-d’œuvre en tous les genres ». Plus de 800 tableaux — la sculpture n’était pas encore représentée au Louvre, mais au musée des Monuments français (1795) — furent expédiés en province de 1802 à 1811.


Le temps des musées

Au cours du xixe s., l’expansion des musées, considérable en Europe, atteint notamment les États-Unis et le Japon. Ornements de la réussite économique, créations politiques, les musées évoluent différemment suivant les principes qui ont guidé leur création.

Dans leur immense majorité, les musées français sont le résultat de décisions politiques qui ont déterminé leur implantation, leur vocation et jusqu’aux détails de leur administration, sans que les usagers aient eu à intervenir. Ils s’opposent donc aux cabinets d’amateurs, et aussi à la plupart des musées d’Amérique du Nord, créés par des associations privées. L’inaliénabilité des collections publiques françaises est sans doute un progrès par rapport à la situation des collections royales.

Les musées parisiens prirent rapidement une importance démesurée, au détriment des autres, reflétant fidèlement la structure centralisée de la nation. L’extension du Louvre, la création des musées de Versailles* et de Saint-Germain-en-Laye* retinrent la sollicitude des monarques comme des gouvernements républicains ; mais l’État cessa vite de s’intéresser aux musées de province, et dès 1811 les envois réguliers tarirent. Le mécénat local y suppléa parfois. Au milieu du xixe s., la décadence de l’artisanat provoqua par contrecoup un vif intérêt pour les arts mineurs, et par conséquent pour les styles régionaux. La création à Londres, en 1852, du Victoria and Albert Museum montre que cette inquiétude était plus marquée dans un pays d’industrialisation plus ancienne.

À la fin du siècle, en France, les musées devinrent pour les parlementaires des arguments de prestige électoral, pour les notables locaux des garanties d’immortalité. Beaucoup de ces musées furent confiés à la garde de bénévoles sans formation ; l’incurie ou le manque d’argent des municipalités contribua à dégrader l’image de l’institution elle-même. Une vaste réorganisation a été entreprise en 1945, qui n’est pas encore achevée.

C’est en 1773 que l’idée de créer un musée fit son apparition dans le Nouveau Monde, la Library Society de Charleston (Caroline du Sud) ayant décidé d’exposer ses collections scientifiques. À Boston, une société d’amateurs de sculpture, l’Athenaeum, ouvrit le premier musée d’art, ancêtre de ce chef-d’œuvre de fonctionnalisme qu’est devenu le Boston Museum of Fine Arts (1870). Les associations d’amateurs, les écoles d’art (les académies de Pennsylvanie et de New York par exemple) ont pris l’initiative de la création des musées aux États-Unis. Les musées universitaires, institutions inconnues en France, sont souvent très anciens : celui de Yale date de 1832. Après la guerre de Sécession, les créations se multiplièrent. En 1870 fut fondé le Metropolitan Museum of Art de New York* ; le financement en incombait à la ville, ce qui est aujourd’hui le cas pour de nombreux autres musées américains. La National Gallery of Art de Washington est le seul grand musée d’État ; encore sa création fut-elle due à l’action en 1937 d’un diplomate, Andrew Mellon, et ne date-t-elle que de 1941.

L’Exposition universelle de 1867 à Paris donna l’idée à un diplomate japonais de fonder un musée à Tōkyō. Ayant rapporté au Japon 200 objets européens — instruments scientifiques et constructions mécaniques —, il les fit exposer conjointement avec un choix d’objets de tradition japonaise, ce qui, dans un pays qui s’ouvrait à peine aux influences occidentales, ne fut pas sans troubler les esprits. Le musée s’éleva en 1875 ; l’architecte, anglais, construisit un bâtiment de brique et de pierre, d’un exotisme vague. Les conservateurs furent chargés de la rédaction de la première histoire de l’art japonais, qui parut en 1902. Après le séisme de 1923, l’édifice fut reconstruit en 1938 dans un style autochtone. Musée impérial depuis sa création, il devint national. Il abrite des collections de peintures et sculptures traditionnelles, ainsi que des tissus et costumes. La fondation du musée de Tōkyō avait entraîné celle des musées de Nara en 1895, de Kyōto en 1897.

Un peu partout dans le monde surgissent de nouvelles créations, selon des processus variés, qu’il s’agisse de l’initiative d’un petit groupe d’amateurs — comme ce fut le cas en 1946 à São Paulo, ville choisie pour la fondation d’un musée d’Art moderne en raison de son activité économique — ou d’une action concertée d’origine politique, comme à Jérusalem pour le Musée national (1965). Les vocations des musées sont aussi très diverses : artistique, scientifique, technologique ; plus orientée vers la recherche ou l’animation, vers la beauté du décor ou l’étude des œuvres (concrétisée, là où énergies et crédits ne manquent pas trop, par la publication de catalogues). Les choix faits, ici ou là, ne cessent d’alimenter des controverses publiques.