Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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musée (suite)

Les témoignages de l’Antiquité, transmis par le Moyen Âge avec une ignorante vénération, devinrent dès le trecento l’objet d’une investigation passionnée. Et ce n’est pas dans le seul dessein de thésauriser que les érudits créèrent des cabinets de curiosités, d’antiquités ou de portraits : ils procédaient ce faisant à une recherche de leur propre identité, de leurs racines culturelles. La première mention que l’on connaisse d’un cabinet d’antiques date de 1335. Un citoyen de Trévise avait acheté à Venise, intermédiaire entre Byzance et l’Italie, des manuscrits des grands écrivains latins, des médailles, intailles, verres, bronzes, statues, parmi lesquelles est soulignée la présence d’« hommes nus ». La prise de Byzance par les Turcs en 1453 provoqua un nouvel afflux d’antiquités vers l’Occident : l’inventaire de la collection du pape Paul II, en 1477, le prouve.


La Renaissance

Pour les Romains, l’artiste n’était qu’un histrion. Qu’il connût à la Renaissance l’ascension sociale que l’on sait n’est pas indifférent à l’évolution des collections. Mantegna, Donatello, Raphaël, pour ne citer qu’eux, jouèrent le rôle de conservateurs, de restaurateurs et d’experts auprès de leurs princes. À la valeur marchande de l’œuvre, à sa valeur de prestige s’ajoute une valeur d’exemple : objet d’étude, l’œuvre d’art doit être choisie avec le soin le plus scrupuleux. En France, où François Ier fut le premier roi grand collectionneur, le Primatice fut chargé des mêmes fonctions que ses glorieux aînés en Italie.

À la mode dans le monde hellénistique, les « musées de grands hommes » réapparurent à la Renaissance. Mais les statues y tenaient moins de place que les portraits peints — vingt-cinq au studiolo d’Urbino*, plusieurs centaines dans le palais de l’humaniste Paolo Giovo (Paul Jove, 1483-1552) à Côme. L’existence de cette dernière collection détermina Vasari* à écrire l’histoire de l’art de façon biographique, ce qui le conduisit à devenir lui-même collectionneur de dessins pour illustrer ses écrits.

En 1538, le terme de curieux était ainsi défini : « Curieux d’avoir ou de sçavoir choses antiques. » Un incroyable engouement pour les antiquités sévissait chez les collectionneurs et s’accompagnait de la prolifération des faussaires. Mais les curiosités naturelles tenaient également une grande place chez ceux mêmes qui possédaient les œuvres d’art les plus raffinées — le duc de Berry, les Médicis, François Ier ou les Habsbourg. Parfois scientifiquement répertoriées — un corpus de milliers d’animaux, de plantes et de minéraux fut établi grâce aux Médicis —, ces raretés traduisaient souvent une prédilection pour l’exotique et le bizarre, aspects de la réalité qui fascinaient l’époque maniériste.


Les collections royales ; la politique culturelle au xviie s.

L’organisation des grandes monarchies, le développement du commerce d’art qui l’accompagnait expliquent le formidable développement des collections royales au xviie s., illustrations indispensables de la gloire monarchique. L’Italie approvisionnait ce marché. Les ambassadeurs des grands États jouaient le rôle de courtiers, et d’énormes quantités d’œuvres d’art traversaient les frontières. Ainsi, Charles Ier d’Angleterre acquit d’un coup toute la collection des Gonzague ruinés. Après son exécution, elle fut achetée par le roi d’Espagne, la reine de Suède, le gouverneur des Pays-Bas, le cardinal Mazarin et le financier Everhard Jabach ; la part de ce dernier fut acquise, avec toute sa collection, par Colbert pour Louis XIV (Concert champêtre de Giorgione, Louvre).

Dans l’ensemble de la politique artistique de Louis XIV, nous intéressent particulièrement l’achat des quatre mille dessins de la collection Jabach et celui de l’énorme fonds de gravures réuni par l’abbé Michel de Marolles ; le cabinet des Dessins du Louvre, le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale y ont leur origine. D’autre part, Le Brun, conservateur des peintures du roi, ne cessa d’en faire acheter pendant tout le règne.

Philippe IV d’Espagne, amateur très éclairé, faisait acheter à Rome ; commanditaire de Vélasquez, Rubens et Claude Lorrain, il enrichit également l’Espagne des meilleurs Italiens de la Renaissance. L’autre part de l’empire reçut en patrimoine la collection de l’archiduc Léopold-Guillaume, qui laissa à son frère Ferdinand III plus de 500 tableaux italiens ; mais, constituée à Bruxelles, sa collection comprenait aussi Van Eyck, Van der Goes, Bruegel. À Munich, les Wittelsbach réunirent un bel ensemble de tableaux allemands du xvie s., à l’origine de l’actuelle Pinacothèque. L’aspect des collections privées de tableaux et d’objets d’art du début du xviie s. nous est transmis par ces « cabinets d’amateurs » qu’ont représentés les peintres anversois de la famille des Francken.


L’évolution au Siècle des lumières ; la Révolution française

La bourgeoisie de finance et d’industrie qui se développe au xviiie s. est prise d’une frénésie de collectionner. L’Angleterre est le paradis du commerce d’art ; les galeries Christie’s et Sotheby datent de la seconde moitié du siècle. Mais la fièvre des affairistes n’empêche pas l’apparition d’une attitude scientifique. En 1727, C. F. Neickel, marchand de Hambourg, fait paraître sa Museographia, traitant de ce que nous nommerions plutôt la muséologie : on y trouve des conseils de conservation, de classement. En 1778, au Belvédère de Vienne, en 1789, aux Offices de Florence, on inaugure des systèmes de classement méthodiques. Les techniques de conservation font des progrès notoires (transposition des peintures de toile ou bois sur toile, réfection des vernis). À Naples, Florence, Venise, Bologne, Paris, Dresde s’ouvrent des ateliers de restauration — aujourd’hui véritables laboratoires qui permettent, au préalable, de retrouver les avatars matériels (mutilations, transformations) qui sont le passé de l’œuvre.