Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

musée (suite)

Pour ou contre le musée

« Cimetière de l’art », « bazar neutre », « asile posthume », ces expressions naissaient il y a plus d’un siècle sous la plume du critique* d’art Théophile Thoré (dit W. Bürger, 1807-1869). Le musée a donc été accusé, presque dès sa naissance, d’être une sorte de grenier de luxe où les objets perdaient identité et signification. Ce reproche, renforcé aujourd’hui par l’autorité des recherches ethnologiques, a été vivement ressenti par certains conservateurs de musées ou organisateurs d’expositions, qui se sont efforcés de recréer autour des œuvres présentées l’environnement dans lequel elles avaient vu le jour.

On a objecté que la connaissance du contexte historique, si poussée qu’elle fût, ne pouvait être parfaite, que par conséquent la présentation de l’objet dans un décor de notre temps, ou une absence « clinique » de décor, était tout aussi légitime. Ce parti a été choisi dans plusieurs musées d’Italie — pays accablé sous le poids de l’histoire de l’art —, notamment au musée étrusque de la villa Giulia à Rome, au grand scandale de nombreux spécialistes.

Thoré affirmait encore : « On n’a jamais vu de musées aux époques où l’art se porte bien, où il a une virtualité créatrice. » Or, celui qui écrivait ces lignes était un amateur d’art moderne, qui encouragea les peintres de l’école de Barbizon, puis Courbet et les réalistes. La peinture se portait donc bien en son temps, et les musées aussi, mais Courbet n’y entrait pas. Jusqu’à une époque très récente, il faut bien constater que le musée n’admettait l’art « moderne » que lorsque celui-ci avait cessé de l’être. Il est fréquent que de bons spécialistes de l’art ancien soient dénués de curiosité pour la création artistique contemporaine, quand ils ne lui sont pas hostiles. L’étendue considérable des connaissances à acquérir, la nécessité d’une spécialisation et les servitudes d’une gestion devenue très complexe sont des explications plausibles.

Quant au public, la distance qui le sépare de la création artistique contemporaine ne fait que s’accentuer depuis l’ouverture des musées. Ceux-ci en sont-ils responsables ? Les collections princières de l’Ancien Régime étaient proposées à la délectation d’un petit nombre de connaisseurs qui suivaient l’évolution de la création artistique. Les musées, institutions démocratiques au moins en intention, s’adressent à un public infiniment plus nombreux, dépassant très largement le cercle des connaisseurs et généralement privé de contacts avec les milieux créateurs.

Pour aborder l’œuvre d’art, ce public ne dispose guère que de la formation reçue dans l’enseignement primaire ou secondaire : des données chronologiques, à peu près rien sur le « fonctionnement » de l’œuvre d’art (structure, niveaux de signification, poétique...). La nécessité apparut de créer des musées consacrés à l’art moderne, au fonds renouvelable, les modernes d’hier allant progressivement rejoindre les collections d’art ancien. Le Museum of Modern Art de New York fut achevé en 1939, et le musée d’Art moderne de Paris en 1947. Bien qu’ils connaissent une grande affluence, le problème de l’accès du grand public à l’art contemporain n’est pas résolu pour autant. Le musée est-il sélectif par nature ? Par l’intermédiaire des Maisons de la culture — faisant parfois figure d’anti-musées —, on a cherché à établir un contact plus direct. En effet, de remarquables enquêtes ont mis en lumière un fait important : les visiteurs des musées, bien moins nombreux qu’on ne pourrait le croire, représentent les milieux les plus scolarisés (v. art). L’inégalité devant le musée est une des formes de l’inégalité devant la culture. Cependant, nous l’avons laissé entendre, on peut se demander si, dans l’état actuel de la pédagogie officielle, l’école possède les clefs du musée d’art moderne — et même du musée tout court.

Ces enquêtes, donnant pour condamnable l’inégalité devant le musée, en font le médiateur indispensable entre l’art, l’artiste et le public. Ce rôle missionnaire a été célébré à l’envi depuis un quart de siècle, jusqu’à faire de l’art une nouvelle religion dont les musées seraient les temples : « Les Annonciations ne trouvent pas moins de recueillement à la National Gallery que dans les églises d’Italie », écrit André Malraux. Ce point de vue a influencé la présentation de certains musées, où l’œuvre est entourée d’une mise en scène accentuant son mystère. Mais, pour les animateurs d’avant-garde (qui n’aiment guère le nom de « conservateurs »), le musée devrait être forum plus que temple. Ce qui est moins facile à réaliser qu’il n’y paraît. L’architecture, dans cette perspective, doit cesser d’imposer de trop lourdes contraintes. L’équipement, l’animation, le gardiennage, les liaisons avec l’extérieur doivent être adaptés à de nouvelles conceptions. Il faut signaler, à ce point de vue, les remarquables réalisations de certains musées hollandais et suédois. En France, les efforts du Centre national d’art contemporain (C. N. A. C.), ceux de nombreux musées de province vont dans le même sens. Cependant, sur l’opportunité de telles tentatives, le personnel de direction des musées est pour le moins partagé.

Dénoncés par certains comme outils de propagande politique, servant le prestige des puissances d’argent lorsqu’ils dépendent d’elles, compromis avec le marché de l’art, les musées, sanctuaires d’une culture contestée, continuent de se multiplier. Il faut dire que beaucoup des critiques qui leur sont adressées viennent d’une intelligentsia blasée ou d’artistes empressés à se faire admettre dans les panthéons qu’ils décrient. Le non-public, et pour cause, ne donne pas souvent son avis.

Le musée apparaît, en dernière analyse, comme indissociable de la civilisation actuelle, des concepts de culture et d’œuvre d’art qu’elle a sécrétés. Il n’est pas interdit d’imaginer le musée de l’avenir — ouvert sur l’extérieur, assorti d’ateliers de création, disposant de techniques d’animation sans être dominé par elles — comme un véritable lieu de communication.

E. P.

➙ Art / Exposition / Monuments historiques.