Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aquarelle

Procédé de peinture à l’eau dans lequel des pigments de couleur très finement broyés sont liés par un très léger agglutinant, souvent à base de gommes, et déposés sur une feuille de papier, généralement blanche.


La technique ainsi qualifiée suppose une manière de faire assez particulière, où la transparence des couches de couleurs et le jeu sous-jacent du papier blanc, comme parfois la surface vierge du papier elle-même, occupent une place très importante. Pour le liant ou l’agglutinant, sans lequel les pigments ne sauraient adhérer au support ni échapper à la pulvérisation avec l’évaporation de l’eau, on utilise généralement des produits naturels comme la gomme arabique, la colle de poisson, le miel et toutes sortes de colles. Cela suppose un dosage délicat pour éviter le durcissement et l’épaississement de la matière, provoquant la fissuration de la couleur une fois sèche. Liant et eau constituent un médium qui doit être exceptionnellement translucide, afin d’assurer à l’aquarelle son caractère de légèreté, de transparence, parfois de « notation » très personnelle. Le procédé est donc fort différent de celui de la gouache, qui suppose un agglutinant plus épais, une opacité des couleurs que seule vient éclaircir la pâte blanchâtre du médium ou le blanc qu’on ajoute aux couleurs.

La clarté et la fraîcheur des tons de l’aquarelle supposent l’usage de nombreuses nuances de couleurs dans la mesure où l’on doit éviter les mélanges qui avilissent les teintes. Beaucoup des couleurs utilisées dans l’aquarelle sont très délicates, comme les laques, et « passent » vite si l’on n’y prend garde. Aussi convient-il d’apporter certaines précautions à la conservation des aquarelles. Il est recommandé de les exposer le moins possible en pleine lumière pour éviter aux couleurs de se ternir et au papier de jaunir. On utilise généralement des papiers de chiffons assez épais, pas absorbants et bien secs pour assurer aux couleurs leur meilleure condition de survie. De préférence, on recherche des papiers de fabrication artisanale, qui retiennent bien l’eau et conservent la fraîcheur du coloris tout en lui apportant un effet de brillance. D’où la célébrité hautement justifiée des papiers japonais. Le papier doit également présenter une surface légèrement rugueuse — ou granuleuse —, de manière à faciliter la fixation des couleurs, à nuancer leur extension pigmentaire, à faire jouer les lumières d’une manière subtile. Le papier choisi doit être également encollé dans toute son épaisseur et sur toute sa surface, de manière à éviter que la couleur de faible consistance ne se détache et ne se pulvérise.

Il convient de mettre à part les manières de faire de l’Extrême-Orient, visant à des expressions particulières. Il s’agit d’un art de virtuoses, où la codification des règles du métier comprend également des directives pour le comportement physique et spirituel de l’artiste. Chinois (surtout à l’époque T’ang, viie - ixe s.) et Japonais (dès la période de Nara, viie s.) ont ajouté à la perfection du procédé une liberté qui, souvent sous l’influence de la pratique du lavis (encres et eau), se manifestera plus encore au cours des périodes suivantes.

En Occident, c’est tout d’abord la gouache qui a prédominé dans les peintures de manuscrits. L’aquarelle proprement dite « accompagne » le dessin au moment où celui-ci prend une vie nouvelle, à partir du xve s. Pisanello*, puis Dürer*, Holbein* et les peintres de la cour des Valois (v. Clouet) en tireront de très beaux effets. L’aquarelle permet alors également de préparer de grandes compositions tout en réservant la liberté du peintre devant la nature, comme le lavis. Son matériel léger — petites plaquettes de couleurs, en attendant les tubes du xixe s. — facilite beaucoup le travail du peintre. Cet art d’accompagnement du dessin, ainsi « rehaussé », se poursuit jusqu’au xviiie s., où, cependant, quelques peintres, tel Tiepolo*, lui confèrent une expression plus originale, en rapport avec l’esprit de leur peinture murale. Malgré les Cozens au xviiie s., il faut attendre le xixe s. pour voir les artistes anglais faire de l’aquarelle un genre autonome, dont l’influence se fera sentir jusque dans la peinture à l’huile. Turner*, Constable*, Bonington* insistent alors sur le rôle de l’eau, des grains du papier, sur la correspondance intime entre les moyens de l’aquarelle et le thème de leur démarche, où les ciels changeants, la brume, la mer suggéraient autant d’« équivalences » picturales.

Cette technique du « mouillé », du papier « lavé » avant de peindre pour provoquer des alliances subtiles de nappes de couleur, a trouvé des admirateurs parmi les peintres américains comme Winslow Homer (1836-1910) ou Charles Demuth (1883-1935) et, en Europe, avec Delacroix* puis les impressionnistes. Après eux, Signac (v. néo-impressionnisme) s’attachera à jouer pleinement avec les blancs du papier, comme Cézanne*, qui retire de l’aquarelle des effets particuliers de lumière. Les fauves et les expressionnistes, de leur côté, ont vu toute la richesse de couleur exprimée « alla prima » qu’on peut obtenir du procédé.

Il appartenait aux peintres abstraits d’insister sur des qualités de matière, mettant en valeur tout un aspect déjà contenu, d’ailleurs, dans l’aquarelle « figurative ». On observe dans l’aquarelle contemporaine une très grande variété d’effets, obtenus souvent grâce à l’intervention du papier buvard, de tampons de toute sorte, des doigts eux-mêmes, parfois grâce à l’usage des pinceaux japonais traditionnels (plat et rond), mais dans un tout autre esprit. Il arrive qu’à la limite on « gouache » l’aquarelle pour obtenir des effets de contraste entre les qualités de transparence et les épaississements opacifiés. Facilitant les effets du « hasard objectif » comme de l’automatisme, art de la « coulée » ou de la nappe colorée, l’aquarelle a aussi contribué aux transformations de la peinture à l’huile.

J. R.

➙ Dessin / Peinture.