Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

aptitude (suite)

Tout d’abord, il est extrêmement difficile de réaliser l’accord d’observateurs indépendants sur le degré d’intelligence ou de volonté dont témoigne un individu particulier, considéré dans l’ensemble de ses conduites ou même dans telle circonstance particulière : deux personnes différentes ne pouvant se communiquer directement leurs appréciations pendant l’expérience fournissent en général des estimations très différentes sur les aptitudes dont un sujet a fait preuve dans l’accomplissement d’une tâche effectuée sous leurs yeux. En second lieu, des tâches différentes, paraissant mettre en jeu la même faculté, sont souvent réussies de façons très différentes par des individus qui les accomplissent toutes successivement.

La psychologie moderne décrit les différences individuelles de comportement en utilisant des tâches normalisées (tests ou autres procédures d’observation), et ces différences, au niveau descriptif, sont entièrement définies par ces tâches mêmes, c’est-à-dire par les opérations qui ont permis de les décrire. Elle procède à l’analyse empirique des ressemblances constatées dans les résultats obtenus par des individus différents effectuant plusieurs de ces tâches et établit ainsi des catégories de tâches, ou « facteurs » (analyse* factorielle). C’est en ce sens descriptif qu’il faut prendre d’abord le mot aptitude lorsqu’il s’applique au résultat d’un test ou à un « facteur ».

Cette description des aptitudes prend en général une forme numérique, qui permet de parler de « mesure », à condition de n’attribuer à ce mot qu’un sens très général : on peut seulement indiquer quelle est la proportion d’une population de référence qui dépasse, dans le test ou le facteur considérés, le résultat observé par un individu donné (« étalonnage » des tests).


L’aptitude comme capacité

On peut dire d’un individu qu’il est apte à certaines fonctions si l’on juge qu’il est capable de les exercer en satisfaisant à certains critères de réussite. C’est en ce sens que l’on délivre des « certificats d’aptitude professionnelle » ou des « certificats d’aptitude pédagogique », que l’on inscrit certains candidats sur des « listes d’aptitude », etc.

Le mot aptitude, pris dans ce sens, évoque surtout des connaissances, des savoir-faire, acquis par un apprentissage approprié, étant entendu que cette acquisition présuppose certaines qualités foncières. Pour définir des aptitudes ainsi comprises, deux conditions paraissent donc nécessaires. Il faut tout d’abord savoir quelles connaissances, quels savoir-faire sont nécessaires à l’exercice d’une fonction. Il faut ensuite être en mesure d’apprécier objectivement ces connaissances chez chaque individu. Ces conditions sont difficiles à satisfaire.

La définition des aptitudes nécessaires à l’exercice d’une fonction a fait l’objet d’études empiriques : les candidats ayant obtenu un certain résultat dans des épreuves de capacité ont-ils effectivement réussi, ultérieurement, dans l’exercice de la fonction considérée ? Ces études ne sont possibles qu’à la condition d’employer des épreuves de capacité fournissant leur pronostic sous une forme assez définie pour pouvoir être ultérieurement comparée aux faits.

Bien des moyens traditionnels employés pour éprouver les capacités ne permettent même pas, pour cette raison, un contrôle ultérieur, et la plupart des études de « validation » portent sur des épreuves normalisées (tests). De plus, ces études supposent que la réussite ultérieure est définissable objectivement, ce qui est rarement facile. Un exemple particulièrement important est celui des buts de l’éducation. La définition de ces buts paraît nécessaire, entre autres raisons, à la définition des aptitudes requises pour entreprendre tel ou tel type d’études.

L’appréciation objective des capacités d’un individu particulier, par exemple d’un élève à l’issue d’un cycle d’études, présente également des difficultés considérables. De très nombreuses recherches « docimologiques » ont montré, par exemple, que des professeurs différents utilisent des échelles de notation largement différentes et peuvent même diverger nettement en ce qui concerne le simple classement d’une série de travaux scolaires. L’emploi d’épreuves normalisées constitue un moyen de pallier certaines de ces difficultés.


L’aptitude comme caractère constitutionnel

On peut faire l’hypothèse que le développement des capacités présuppose l’existence, chez l’individu, d’un certain substrat constitutionnel et réserver le mot aptitude à la désignation de ce caractère constitutionnel sous-jacent (H. Piéron).

L’expérience la plus commune montre que les mêmes enseignements, les mêmes expériences suscitent des résultats pouvant être très différents chez des individus différents. Cette observation peut être faite même lorsque les conditions de milieu sont très peu différentes pour les individus considérés, comme c’est à peu près le cas pour les enfants d’une même famille. Une hypothèse explicative longtemps admise comme évidente a consisté à affirmer que tous les individus ne sont pas constitutionnellement « doués » de façon identique. Cette hypothèse a été sans doute utilisée trop largement, et l’évolution des idées en matière de pédagogie, aspect d’un progrès plus général de conceptions sociales démocratiques et égalitaires, a entraîné une révision légitime de son champ d’application. Comme il est fréquent dans l’histoire des idées, cette réaction a engendré à son tour des conceptions qui, opposées aux premières, sont parfois aussi simplistes et aussi unilatérales : des différences individuelles constitutionnelles n’existeraient pas ou, au moins, devraient être entièrement négligées.

L’existence d’un substrat constitutionnel génétique jouant un rôle dans les différences individuelles observables reste, dans l’état actuel des connaissances, une hypothèse. Mais c’est une hypothèse hautement vraisemblable, à la lumière notamment des recherches faites sur les jumeaux. On sait qu’il existe des jumeaux monozygotes, issus d’un même œuf, qui offrent le seul exemple de paires d’individus ayant rigoureusement la même constitution génétique. Lorsqu’on soumet aux mêmes épreuves intellectuelles des couples de jumeaux monozygotes, on observe entre les résultats obtenus par les deux individus de chaque paire une ressemblance bien plus élevée que celle qui s’observe, dans les mêmes conditions, entre jumeaux dizygotes ou entre frères ou sœurs non jumeaux. Ce résultat est d’une grande netteté, et sa signification peut difficilement être niée aussi longtemps que la discussion reste sur le terrain scientifique. Cependant, sur ce terrain même, cette signification doit être délimitée. Il faut souligner, en particulier, que l’on ne dispose à l’heure actuelle d’aucun moyen d’apprécier de façon directe les potentialités génétiques d’un individu et que, notamment, les tests ne constituent pas un tel moyen. Le problème de l’importance relative des facteurs héréditaires et des facteurs de milieu dans les différences individuelles reste très difficile à poser, en particulier à cause de la difficulté que présente la quantification des facteurs de milieu. Enfin, le mécanisme par lequel la constitution génétique exerce une influence sur la conduite reste inconnu. On peut, cependant, penser qu’il est particulièrement complexe et qu’il n’entraîne sans doute pas un déterminisme des conduites comparable par sa rigueur à celui qui s’observe dans le domaine de certains caractères somatiques « mendéliens » (couleur des yeux, groupes sanguins, etc.).

M. R.

 M. Reuchlin, la Psychologie différentielle (P. U. F., 1969).