Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
M

mode (suite)

• Dans la notation proportionnelle du xive au xvie s., le problème de division de chaque valeur en deux ou trois unités de la valeur inférieure était posé à chaque échelon : la longue pouvait donc se diviser en deux ou en trois brèves, la brève en deux ou en trois semi-brèves, etc., et la réglementation de chaque échelon portait un nom ; celui de mode a été donné quelque temps à la division des valeurs les plus longues, celle des valeurs plus courtes prenant le nom de temps et de prolation. Le mode était dit majeur lorsqu’il s’appliquait à la division des maximes en longues et mineur lorsqu’il désignait la division des longues en brèves ; dans les deux cas, il était dit parfait pour la division en trois et imparfait pour la division en deux. Dans cette acception, le latin modus était parfois traduit en français par mœuf ou meuf.

J. C.

 P. Aubry, Trouvères et troubadours (Alcan, 1909). / M. Emmanuel, Histoire de la langue musicale (Laurens, 1911 ; 2 vol.). / P. M. Ferretti, Estetica gregoriana (Rome, 1934 ; trad. fr. Esthétique grégorienne, Desclée, 1938). / O. Gombosi, Tonarten und Stimmungen der antiken Musik (Copenhague, 1939). / H. Potiron, l’Origine des modes grégoriens (Desclée, 1948). / H. Anglès, La musica de las « Cantigas de Santa Maria » del rey Alfonso el Sabio (Barcelone, 1953). / J. Chailley, l’Imbroglio des modes (Leduc, 1960).

mode

Manière éphémère de penser, de se comporter et — dans un sens plus restrictif — de se vêtir en accord avec les goûts collectifs propres à une époque, à un lieu ou à un milieu donné.


La mode vestimentaire — dont on traitera ici — n’est qu’un des aspects du phénomène de mode dont les répercussions se font sentir à des niveaux très divers : des objets aussi hétéroclites qu’un meuble, qu’une voiture ou qu’un briquet sont issus de la mode au même titre que les conventions sociales ou morales. Pierre Larousse s’inquiétait déjà des relations entre mode et morale : « Ce qu’il y a de certain, écrit-il, c’est qu’il n’y a guère de défaut qui n’ait été mis en vogue, de vertu qui n’ait été décriée et tournée à honte par la mode. » Si la mode concerne donc toutes les activités humaines, elle a pour caractère essentiel d’être éphémère, alors que les styles, selon R. König, sont des modes « cristallisées » en une forme durable, et suffisamment forte pour imprégner « des tranches d’histoire ».


La mode : un perpétuel devenir

Malgré leur caractère éphémère, les modes vestimentaires laissent derrière elles le souvenir d’images au trait incisif, et plusieurs années se ramènent souvent à un type de silhouette schématisée : le règne de Louis XV évoque la robe à paniers, le second Empire la crinoline, les années 1900 la robe à tournure, 1925 la courte robe tube de la garçonne, 1940 la longue veste tailleur découvrant quelques centimètres de jupe, les années 60 l’ère de la minijupe. Ces quelques exemples choisis parmi beaucoup d’autres témoignent de l’existence de grands courants dans l’histoire de la mode qui sont les seuls repères auxquels notre mémoire a donné forme. Les multiples modifications de détails, à l’origine des modes saisonnières, ne sont, en fait, que des variantes de ces grands courants étudiés par l’anthropologue américain Alfred Louis Kroeber (1876-1960). L’examen systématique des mensurations de gravures de mode entre 1787 et 1936 lui permit de souligner l’existence de rythmes relativement réguliers dans le processus de la mode. À chacun de ces rythmes — dont la durée peut couvrir plusieurs siècles — correspond une silhouette nouvelle. L’ampleur et la longueur du vêtement sont des éléments déterminants de ce changement. A. L. Kroeber démontra, ainsi, que la robe a offert une ampleur minimale vers 1811 et vers 1926, alors qu’en 1749 et en 1860 elle a étalé une ampleur maximale. Ces grands mouvements de la mode coïncident généralement avec des phases importantes de l’histoire.

Dans quelle courbe s’inscrira la mode contemporaine ? Il est encore trop tôt pour le savoir, mais il suffit de feuilleter quelques magazines pour que se dessinent des silhouettes types, dont nous savons déjà qu’elles feront figures de jalons dans l’histoire de la mode. Il n’y a pas de mode sans esprit de renouveau, marqué souvent au coin d’un grain de folie, et toutes ces silhouettes, malgré leur aspect déjà fané, témoignent d’un esprit de recherche. La femme-fleur, imaginée par Dior en 1947 et dont le buste menu et la taille de guêpe émergeaient d’une longue jupe en corolle, la fille sportive des années 60, habillée par Courrèges d’une minirobe architecturée découvrant des jambes sans fin, ou encore les jeunes hippies, associant dans leur tenue les folklores les plus hétéroclites, sont de celles-là. Chacune, à sa manière, témoigne de cet esprit de changement sans lequel il n’y a point de mode. Nous y trouvons confirmation des remarques avancées par A. L. Kroeber : la mode, ces trente dernières années, a suivi, à intervalles plus ou moins réguliers, un mouvement pendulaire entre un style long ou court dont le new-look et la minijupe constituent les deux pôles. Mais opposer la crinoline à la robe tube de la garçonne ou le new-look à la minijupe, c’est ne tenir compte, dans cette évolution, que de la structure de la silhouette sans mentionner des détails tout aussi significatifs.

Moyen d’expression à la fois individuel et collectif, la mode a toujours suscité des affrontements entre les tenants d’une mode déjà dépassée, parce que établie, et ceux d’une mode avant-gardiste. La mode de ces dernières années ne peut mieux se résumer, semble-t-il, que par le mot revanche. La revanche sur la pénurie de la guerre, symbolisée par le new-look, paraît bien pâle à côté de celle d’aujourd’hui : revanche de la liberté sur la contrainte sociale imposée par la mode bourgeoise, et qui se traduit par un débridement et une anarchie spectaculaires.

Il n’y a pas si longtemps, la garde-robe féminine — du moins dans les classes privilégiées — comportait des vêtements adaptés aux divers moments de la journée : tailleur pour le matin, robe de ville, robe de cocktail, robe du soir. Sans aller jusqu’à dire que ces catégories n’existent plus, on peut, du moins, affirmer qu’elles sont devenues plus fluides, quand elles n’ont pas complètement éclaté. C’est bien cet éclatement des genres qui est le plus frappant à l’heure actuelle : aller déjeuner en robe de plage, dîner en robe de ville ou au spectacle en chandail à col roulé ne sont là que quelques exemples parmi d’autres. Une mise en œuvre inédite des matières traditionnelles et l’apparition de matières ignorées jusque-là ont beaucoup contribué à cette transformation : le jersey, devenu infroissable, est en train de s’imposer — surtout depuis 1969 — dans la tenue masculine de ville ; de grands tailleurs ont renouvelé la formule du smoking non seulement dans la coupe (suppression des revers par exemple), mais aussi par l’emploi de tissu insolite, comme le tissu d’ameublement. Un textile aussi galvaudé que le jean arrive à faire figure d’inédit au gré de la mode : jean délavé, jean gratté, jean peau de pêche, jean clouté, jean frangé, etc. Les matières nouvelles d’origine chimique étonnent de jour en jour par leur plasticité et leur qualité esthétique spécifiques : le vinyle, imperméable, reluit sous la pluie ou imite, à peu de frais, la peau de serpent ; enfin, le métal, le plastique, la toile à bâche, destinés jusque-là à d’autres fins, ont donné lieu à des créations sinon toujours facilement portables, du moins toujours empreintes d’originalité.