Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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mode (suite)

Cette diversité des matières s’accompagne d’une aussi grande diversité vestimentaire. Celle-ci vient moins du nombre des vêtements que de la multiplicité des combinaisons qu’ils permettent entre eux : le vocabulaire de la mode fourmille d’ailleurs de mots composés (robe-chasuble, tailleur-pantalon, veste-chemise, combinaison-pantalon, etc.) et de termes propres à une mode en trompe-l’œil (faux deux-pièces, robe-manteaux, etc.). Ces associations se font selon le goût du jour, soit dans un esprit d’harmonie — ce qui explique la production des coordonnées de toutes sortes —, soit, au contraire, avec une recherche systématique des discordances de couleurs ou de styles : vestes fleuries sur jupes écossaises et assemblages de couleurs aussi violemment heurtées que rouge et jaune ou rouge et vert.

La souplesse des vêtements, leur caractère interchangeable viennent, pour une large part, des progrès accomplis dans l’industrie de la maille (v. habillement). On en est au point où vêtements de dessous et vêtements de dessus se confondent : le T-shirt, le débardeur, portés par les femmes en guise de corsage, ne sont que la reproduction de sous-vêtements masculins. Le tissu à mailles s’apparente à une seconde peau collée au corps, et c’est bien ainsi qu’André Courrèges l’a traité lorsqu’en 1970 il présenta des mannequins habillés d’un collant blanc porté sous une minijupe.

Autre signe de l’éclatement des classifications : le pantalon au féminin. Sa vogue en 1969 marque l’avènement d’un style unisexe, surtout chez les jeunes : mêmes chaussures, mêmes pantalons, mêmes T-shirts, mêmes vestes. Paradoxalement, la mode unisexe n’a rien perdu de son caractère érotique : le pantalon a servi de prétexte à mettre le torse en valeur soit par des effets de brassière dénudant la taille, soit par des effets de transparence laissant deviner la poitrine sans soutien-gorge (Y. Saint-Laurent). Les robes elles-mêmes ont exploité ce thème : robes à « treillage », à « grillage », à « lucarnes », à « crevés », etc. La mode féminine n’est pas le domaine exclusif de l’érotisme : le jeune homme trouve une affirmation d’une certaine forme de virilité dans le costume inspiré du gaucho ou dans la veste doublée de fourrure blanche empruntée en ligne directe aux armées scandinaves.

Le goût, l’élégance ne sont plus les mots clefs de l’habillement chez les jeunes. C’est l’ère des copains, l’ère de l’humour et de la cocasserie. Le ridicule importe peu : c’est une provocation supplémentaire. On ne craint plus de s’enlaidir en portant des lunettes immenses et rondes comme des hublots ou, au contraire, minuscules comme les lorgnons de nos grand-mères ; à défaut de vraie fourrure, on s’enveloppe dans de la fourrure synthétique à longs poils jaunes ou rouges, et le chapeau, si on l’adopte, doit être amusant. De peur d’avoir l’air endimanché, on cultive un style de vêtement usagé... même si celui-ci est neuf : jeans faussement délavés, T-shirts faussement déteints et jusqu’à de fausses pièces ! C’est là sans doute un phénomène unique. Une mode sauvage, puisée aux sources du folklore, a été le propre de la jeunesse après 1968 ; on a assisté à une explosion de fantaisie, à une absence de mesure, qui ont abouti au mauvais goût systématique, ou kitsch. Depuis dix ans, la mode est faite par les jeunes et pour les jeunes, et la minijupe a souvent donné à des femmes moins jeunes l’allure de monstrueuses petites filles.

La mode-déguisement lancée par les hippies, en signe de contestation, a été adoptée, revue et corrigée par l’« intelligentsia » bourgeoise : c’est le fruit d’une nouvelle sophistication ; on a l’air de s’habiller d’un bout de chiffon, d’un tapis de table ou d’une vieille couverture ; mais rien n’est fortuit ; tout concourt à servir un nouveau mode d’expression, et, de toute façon, le bout de chiffon est toujours au service de la coquetterie plus ou moins marquée d’érotisme.

Ces outrances ne pouvaient que troubler l’idée que les couturiers se faisaient de la mode : Chanel refusa net ce qui n’était, à ses yeux, que mascarade de mauvais goût ; néanmoins, le pantalon s’imposa dans les collections, et le folklore inspira certains modèles de haute couture : Lanvin offrit des robes gitanes en 1970, et P. Balmain des ponchos.

Finalement, l’antimode, prônée au nom de l’anarchie, a donné naissance à son tour à une mode repensée par les stylistes et par des couturiers ayant pignon sur rue. C’est là, sans doute, son aspect le plus révolutionnaire. En effet, la recherche systématique de l’originalité n’a qu’un temps, et 1973 semble avoir marqué le retour à une mode « plus sage », à une mode « portable », à un style « jeune femme » qu’on avait annoncé depuis deux ou trois ans. Carrure élargie, taille marquée, ampleur confortable, telles sont pour le jour les caractéristiques de cette mode sport, britannique de coupe et qui garde pour le soir un style romantique.

Paradoxalement, la mode des années 60 présente le double visage d’une mode futuriste — dont le trait le plus marquant restera sans doute la minijupe — et d’une mode empreinte de la nostalgie du passé. Le style folklorique offre le caractère spécial de se référer au passé tout en reflétant l’esprit moderne de contestation. Il en va de même du goût manifesté pour les textiles tissés ou tricotés à la main, dont on apprécie la matière brute. Ce retour au passé marque également le style décoratif contemporain : la vogue des « pubs » capitonnés et douillets constitue une réaction contre les cafés du « temps du plastique ». Au-delà de ce retour au passé, issu d’une certaine idéologie, bien des couturiers ont simplement trouvé là matière à inspiration. La robe sac, les longs sautoirs, les tissus imprimés de fleurs plates ont fait revivre aux environs de 1965 l’époque du charleston ; peu après, en 1967, le film Bonnie and Clyde ressuscita le béret enfoncé jusqu’aux oreilles, les longs cardigans, les jupes en biais et les manches ballon des années 30 ; enfin, en 1972, on a vu réapparaître, grâce à Y. Saint-Laurent, les semelles compensées et le tailleur à veste longue des années 40 et, en 1974, la mode 1930 qu’il a ressuscitée. Réincarnation du new-look, la mode maxi a marqué en 1970 l’attrait exercé sur l’imagination par les jupes longues d’antan. Sa coexistence avec la mode courte prouve — s’il en était besoin — l’interaction des divers courants dont la mode actuelle est issue. 1976 a vu s’accentuer la mode rétro, inspirée des années 1925 et 1930, et le goût pour le confort, avec la mode du tricot.