Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

libertés publiques (suite)

➙ Administration / Détention / État / Gouvernementale (fonction) / Juridiques (sciences) / Législative (fonction) / Presse.

 G. Morange, Contribution à la théorie générale des libertés publiques (Impr. A. Tollard, Nancy, 1940). / R. Pelloux, le Citoyen devant l’État (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1955 ; 4e éd., 1972). / C. A. Colliard, Libertés publiques (Dalloz, 1958). / P. Braud, la Notion de liberté publique en droit français (L. G. D. J., 1968). / J. Boucly et M. Le Clere, Code de procédure pénale commenté (Éd. Police-revue, 1969). / J. Robert, Libertés publiques (Montchrestien, 1971). / Y. Madiot, Droits de l’homme et libertés publiques (Masson, 1976).

libertins (les)

Courant de pensée rattaché au xviie s. français.



Introduction

À la fin du premier quart du xvie s., des hommes comme Antoine Pocques et Quintin commencent à professer des idées hardies sur la religion (panthéisme). C’est cette indépendance religieuse que Calvin flétrira du nom de libertinage. Cet esprit d’indépendance, qui, étendu aux matières de la foi, devient esprit d’incrédulité, était très ancien en France. Mais le xvie s. fut pour l’incrédulité un de ces moments où le trouble des consciences et la ferveur de convertir permettent à la pensée ses plus indépendantes manifestations. La morale était alors tenue pour une annexe et un fruit de la religion : quiconque prenait des libertés avec la religion était par là même atteint et convaincu d’en prendre avec la morale. C’est ainsi que le mot libertinage s’est également entendu dans le sens de « désordre dans les mœurs et la conduite ». En conséquence, le xviie s. donnera au terme de libertin une acception trop large pour n’être pas très vague, puisqu’il convient de l’entendre à la fois de « qui se livre à des pratiques profanes et à des dispositions d’esprit dangereuses pour l’autorité établie ». Ce caractère à la fois large et vague du sens donné à ce mot conduit, sur le plan du libertinage, à considérer le xviie s. comme un siècle de transition entre le xvie, où le libertinage avait trait à une déviation spirituelle, et le xviiie, où il sera la marque d’une « déviation » intellectuelle. Au xviie s., les deux directions se mêlent. C’est aussi, de ce point de vue, une époque de transition que le xviie s. entre le xvie, où le libertinage a été si violemment réprimé, et le xviiie, qui verra son triomphe. On aurait pu croire qu’après les atrocités des guerres de Religion, durant ce xviie s. d’une majesté si sereine à distance, la pensée et la parole auraient enfin conquis une tardive émancipation. Il n’en fut rien : elles connurent la persécution, les proscriptions, les échafauds et le bûcher. C’est cette crainte de la répression, qui a si bien réussi au siècle précédent, qui réduit les libertins du xviie s. à ne plus exprimer leurs idées que sous forme de plaisanterie et, si la plaisanterie devient dangereuse, à faire amende honorable en détournant la tête pour pouffer de rire. Avant de devenir ainsi, petit à petit, philosophe, le libertin disparaît au xviie s. de l’avant-scène culturelle.


La « cabale libertine » (1615-1625)

C’est sous Concini que l’on voit poindre les premières manifestations d’un libertinage instinctif, voire cohérent, qui emprunte ses principaux éléments à Épicure et aux Italiens modernes, tel Giulio Cesare Vanini (1585-1619), disciple de Giordano Bruno. Les principaux animateurs de ce foyer libertin sont François Mainard (1582-1646), Saint-Amant (1594-1661), Des Barreaux (1599-1673) et surtout Théophile de Viau (1590-1626). Ces affranchis se réclament de Montaigne, en qui les intéresse « la nature au complet sans la grâce », selon le mot de Sainte-Beuve, et se réfèrent à la bonté originelle de l’homme (antichristianisme). Les Délices satyriques, recueil commun de 1620, sont à l’origine de l’exil de Viau. L’affaire rebondit avec le Parnasse satyrique (1622), dont Viau infirme la paternité. S’agit-il d’une machination ? Toujours est-il que, condamné, Viau ne doit son salut qu’à la fuite. Il meurt peu après, et la cabale est brisée.


Le libertinage érudit (1628-1655)

Les membres de ce nouveau foyer sont, pour la plupart, des hommes cultivés qui cherchent à préciser leurs connaissances et à organiser leurs idées en système. Les nouvelles doctrines, dues essentiellement à Gabriel Naudé (1600-1653), à François de La Mothe Le Vayer (1588-1672) et surtout à Pierre Gassendi (1592-1655), prêtre qui nourrissait l’illusion de concilier philosophiquement épicurisme et christianisme, influencèrent largement Cyrano de Bergerac (1619-1655), pétillant d’imagination, Molière, chez qui tout personnage comique l’est par rapport à la nature, et La Fontaine, qui s’oppose à Descartes dans l’Épître à Mme de La Sablière (1693). C’est là un affleurement du libertinage au premier plan du xviie s. Or, La Fontaine et Molière ont eu des difficultés avec le monde officiel des lettres. C’est qu’après 1655 et jusqu’en 1685 il se produit un repli du courant libertin. La surveillance exercée par le pouvoir royal se resserre, la Compagnie du Saint-Sacrement établit une véritable censure. La libre pensée, traquée, doit dérober son vrai visage.


Une promesse philosophique (1685-1715)

Continuellement refoulé par Louis XIV et les Jésuites, le courant libertin resurgit après la révocation de l’édit de Nantes, qui affaiblit le gouvernement, pour s’affirmer dans les salons et les cercles mondains. En même temps, sous l’influence nouvelle des pays septentrionaux, la pensée libertine s’affermit : la raison est devenue un instrument de combat et un principe de construction positive ; l’expérience concrète apparaît désormais comme un témoignage indispensable dans la recherche de la vérité. Ce libertinage n’est plus théorique, mais critique : il nie le surnaturel.


Saint-Évremond, Bayle, Fontenelle

Ces trois hommes, derniers fleurons du courant libertin au xviie s. et précurseurs des philosophes du xviiie s., s’attachent à promouvoir la critique historique. Saint-Évremond (v. 1614-1703) analyse les causes des révolutions romaines soixante-dix ans avant Montesquieu dans ses Réflexions sur les divers génies du peuple romain (1662). Son indépendance de pensée s’exprime plus en littérature qu’en morale : pour lui, on doit étudier les écrivains dans leurs rapports avec le milieu social et non d’une manière abstraite. Bayle (1647-1706) est d’un scepticisme radical de philosophie et de religion. Son Dictionnaire historique et critique (1696-97), soixante-dix ans avant Voltaire, renouvelle toutes les questions de morale, contribuant à détacher la morale de la religion pour la faire dépendre uniquement de l’institution sociale. Fontenelle (1657-1757) démythifie l’Antiquité dans son Histoire des oracles (1687) et prône la primauté du fait, premier assaut d’une sorte de positivisme. Dès lors, le libertinage a trouvé sa voie : les plus grands « libertins » seront les philosophes du xviiie s.