libertins (les) (suite)
Le libertinage, né au xvie s., a traversé tout le xviie s., se faisant protée pour se plier aux circonstances, hardi si le pouvoir était négligent ou faible, timide s’il devenait attentif et fort. La tâche du xviiie s. eût été impossible si toute une série d’esprits, libres à des degrés divers, n’eussent, durant tout le xviie s., perpétué, en le modifiant, l’esprit du xvie s. Les libertins, en effet, ces sectateurs de la nature, manifestent par leur option pour les moyens de domination du monde (Cyrano de Bergerac a des vues aussi prophétiques et prémonitoires que Jules Verne) la continuité du xvie s. au xviiie s., alors que le xviie s. est plus proche du Moyen Âge, comme lui tourné vers l’Être. Les libertins du Grand Siècle ont eu l’intuition de la relativité ; mais ils n’ont fait qu’y aboutir, partis qu’ils étaient de l’absolutisme de la nature. Ce qui ressort de cette évolution, c’est l’inébranlable revendication d’une réflexion qui soit vraiment laïque : n’est-ce pas là ce à quoi vont s’employer leurs successeurs, partagés, eux aussi, en deux grandes familles de penseurs : ceux que l’on peut dire « idéalistes », tels Mably et Rousseau, et ceux que l’on appellera « réalistes », comme Voltaire, Montesquieu ou Diderot ? Ceux-ci en effet, au lieu de « maximer leurs pratiques », vont mettre en pratique les maximes qu’ils ont reçues de leurs pères spirituels. Si, désormais, cela est rendu possible, c’est tout simplement que l’autorité établie n’a plus la même force : on n’est jamais « libertin » que par rapport à une certaine norme, et, au xviiie s., la minorité est devenue la majorité. Les libertins, défenseurs d’une espèce de relativisme, manifestent le sens de l’évolution historique. Ainsi, quoique seulement en filigrane dans le siècle où on le dit s’inscrire par excellence, le mouvement libertin est le véritable fondement du xviie s. S’il y a dichotomie entre ce choix profond du siècle, ratifié par le xviiie s., et son apparence, le classicisme, cela est dû en grande partie au manque de cohésion du mouvement, éparpillé en « école » restreinte, et au caractère aussi flou que fluctuant des thèses avancées ; mais, dans le fond, la permanence du libertinage atteste son importance ; ce fut lui le véritable courant de pensée, le classicisme n’ayant été qu’une réaction.
J. L.
➙ Classicisme / Lumières (esprit des).
A. Adam, les Libertins du xviie siècle (Buchet-Chastel, 1964).