Leivik (Halpern) (suite)
Les émeutes arabes de 1929 furent l’occasion d’une réévaluation de la terre d’Israël dans la conscience juive moderne, mais non de la violence pour Leivik : il préféra toujours le camp des « Martyrs du royaume » à celui des Maccabées et ne cessa de se poser le problème de la souffrance injustifiée, que ce soit celle d’Isaac ou celle du bélier, c’est-à-dire qu’il mit en question la signification même du sacrifice. Il fit par trois fois le pèlerinage en terre d’Israël, mais il se rendit en Allemagne dès la libération des camps de déportés : il tint à faire reprendre courage aux survivants, à leur montrer combien ceux qui n’avaient pas passé par leurs souffrances étaient honteux de leur liberté et de leur bonheur ; aussi son inspiration puisa-t-elle dans le Livre de Job sa force et son rayonnement.
La démarche esthétique de Leivik n’est pas celle du refus de l’engagement, mais celle du souci de la qualité et de la forme, preuves de la vérité de la revendication sociale et du règne de la justice.
Aux problèmes posés par le monde moderne, la littérature fut pour Leivik la réponse de l’homme d’aujourd’hui, comme la prière avait été celle de l’homme d’hier. La littérature est le relais de la liturgie, et la langue celui de la foi ; le yiddish est ainsi le signe même de la cohésion nationale juive.
Leivik fut dans le monde l’un des tout premiers à avoir la vision prémonitoire de l’apocalypse totalitaire. Son œuvre dramatique (le Golem, les Chaînes du Messie, la Comédie de la rédemption) illustre l’antagonisme insurmontable entre la spiritualité, qui est espérance du Messie à venir, et la violence, qui est perversion de l’homme.
Son lyrisme exalte la vie, fût-elle éternelle. Leivik sait voir dans la mort la grille de l’indicible.
Son écriture manifeste une pudeur du tragique vécu, une dignité de l’humain, une maîtrise de la litote qui l’élève au rang de témoin irrécusable de l’universel qui s’incarne dans le peuple juif.
Si l’on compare Leivik à ses contemporains, on le rapprochera, selon H. Boaz, d’Aleksandr Blok et de Rainer Maria Rilke, mais on peut le voir aussi en contrepoint à Claudel, parce qu’il a sa vigueur, mais qui est fille de l’esprit et non de la grâce. Dans sa dramaturgie, ses poèmes, sa prose, le réel se transfigure au point d’exiger de Dieu la reconnaissance de l’innocence de l’enfance et de la vanité de tout sacrifice ; Leivik veut que Dieu rende hommage à la grandeur de l’humain. L’Éternel est, selon lui, la rencontre de l’humain et du divin.
Les quatre dernières années de sa vie furent celles de la lutte contre l’indicible : paralysé, il n’était plus que l’ombre de lui-même.
Sa vie, comme son œuvre, a ainsi été à la fois assomption de la douleur et dépassement, son œuvre instaurant la littérature comme héritière de la tradition juive tout entière.
A. D.
M. Waldman (sous la dir. de), H. Leivik, poète yiddish (Éd. Gopa, 1967).
Les œuvres de H. Leivik
1918Sous les verrous
1919Poèmes
1921le Golem
1925Impressions de voyage
Neige tombée
Par sept morts
1927Pauvre Royaume Faillite
1928Chiffons
Shop
Chaînes
1934la Comédie de la rédemption
Abélard et Héloïse
Chants du paradis
À propos de la terre d’Israël
les Chaînes du Messie
1945À Treblinka je n’ai pas été
1949la Noce à Fernwald
1953Au temps de Job
1955Une feuille de pommier
1958Aux travaux forcés chez le tsar
1959Chants à l’Éternel
1963Essais et discours