Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Leivik (Halpern) (suite)

Les émeutes arabes de 1929 furent l’occasion d’une réévaluation de la terre d’Israël dans la conscience juive moderne, mais non de la violence pour Leivik : il préféra toujours le camp des « Martyrs du royaume » à celui des Maccabées et ne cessa de se poser le problème de la souffrance injustifiée, que ce soit celle d’Isaac ou celle du bélier, c’est-à-dire qu’il mit en question la signification même du sacrifice. Il fit par trois fois le pèlerinage en terre d’Israël, mais il se rendit en Allemagne dès la libération des camps de déportés : il tint à faire reprendre courage aux survivants, à leur montrer combien ceux qui n’avaient pas passé par leurs souffrances étaient honteux de leur liberté et de leur bonheur ; aussi son inspiration puisa-t-elle dans le Livre de Job sa force et son rayonnement.

La démarche esthétique de Leivik n’est pas celle du refus de l’engagement, mais celle du souci de la qualité et de la forme, preuves de la vérité de la revendication sociale et du règne de la justice.

Aux problèmes posés par le monde moderne, la littérature fut pour Leivik la réponse de l’homme d’aujourd’hui, comme la prière avait été celle de l’homme d’hier. La littérature est le relais de la liturgie, et la langue celui de la foi ; le yiddish est ainsi le signe même de la cohésion nationale juive.

Leivik fut dans le monde l’un des tout premiers à avoir la vision prémonitoire de l’apocalypse totalitaire. Son œuvre dramatique (le Golem, les Chaînes du Messie, la Comédie de la rédemption) illustre l’antagonisme insurmontable entre la spiritualité, qui est espérance du Messie à venir, et la violence, qui est perversion de l’homme.

Son lyrisme exalte la vie, fût-elle éternelle. Leivik sait voir dans la mort la grille de l’indicible.

Son écriture manifeste une pudeur du tragique vécu, une dignité de l’humain, une maîtrise de la litote qui l’élève au rang de témoin irrécusable de l’universel qui s’incarne dans le peuple juif.

Si l’on compare Leivik à ses contemporains, on le rapprochera, selon H. Boaz, d’Aleksandr Blok et de Rainer Maria Rilke, mais on peut le voir aussi en contrepoint à Claudel, parce qu’il a sa vigueur, mais qui est fille de l’esprit et non de la grâce. Dans sa dramaturgie, ses poèmes, sa prose, le réel se transfigure au point d’exiger de Dieu la reconnaissance de l’innocence de l’enfance et de la vanité de tout sacrifice ; Leivik veut que Dieu rende hommage à la grandeur de l’humain. L’Éternel est, selon lui, la rencontre de l’humain et du divin.

Les quatre dernières années de sa vie furent celles de la lutte contre l’indicible : paralysé, il n’était plus que l’ombre de lui-même.

Sa vie, comme son œuvre, a ainsi été à la fois assomption de la douleur et dépassement, son œuvre instaurant la littérature comme héritière de la tradition juive tout entière.

A. D.

 M. Waldman (sous la dir. de), H. Leivik, poète yiddish (Éd. Gopa, 1967).

Les œuvres de H. Leivik

1918

Sous les verrous

1919

Poèmes

1921

le Golem

1925

Impressions de voyage
Neige tombée

1926

Par sept morts

1927

Pauvre Royaume Faillite

1928

Chiffons
Shop

1931

Chaînes

1934

la Comédie de la rédemption
Abélard et Héloïse

1937

Chants du paradis
À propos de la terre d’Israël

1939

les Chaînes du Messie

1945

À Treblinka je n’ai pas été

1949

la Noce à Fernwald

1953

Au temps de Job

1955

Une feuille de pommier

1958

Aux travaux forcés chez le tsar

1959

Chants à l’Éternel

1963

Essais et discours

Le Jeune (Claude)

Compositeur français (Valenciennes v. 1530 - Paris 1600).


On ignore tout de sa jeunesse et de sa formation musicale. En 1564, Le Jeune est à Paris et dédie à François de La Noue et à Charles de Téligny, seigneurs protestants, ses Dix Pseaumes... en forme de motets. Lorsque J. A. de Baïf et J. Thibault de Courville fondent en 1570, avec le patronage de Charles IX, l’Académie de poésie et de musique, il est l’un des premiers à s’associer aux travaux de « musique mesurée à l’antique ». Vers 1582, il entre au service de François, duc d’Anjou, frère du roi Henri III. En 1585, il publie à Anvers son Livre de Meslanges, ce qui permet de supposer qu’il suivit son maître dans les Flandres. Après la mort du duc (1584), il trouve aide et protection auprès du duc de Bouillon, vicomte de Turenne. Il enseigne à cette époque la musique à Louise de Nassau, duchesse de Bavière, ainsi qu’à Odet de La Noue, fils de François. Après les deux rééditions, à Paris, de son Livre de Meslanges (1586, 1587), il jouit alors d’une grande notoriété. Mais, lors du siège de la capitale (1590), il prend ouvertement parti contre la Ligue et doit s’enfuir. Il se réfugie à La Rochelle, ville protestante. Mersenne, dans son Harmonie universelle (1636), raconte comment Jacques Mauduit sauva ses manuscrits en arrêtant « le bras du Sergent, qui les jettoit au feu du corps de garde ». Cependant, Le Jeune publie en 1594 ses Airs mis en musique à 4 et à 5 voix, les premiers en « musique mesurée ». De retour à Paris avant 1598, il entre dans la musique du roi Henir IV et devient compositeur de la Chambre. Tandis que ledit de Nantes est promulgué, il exprime dans son Dodécacorde (1598) son espoir dans le maintien de la paix religieuse et son désir de « donner aux François de quoy unir les tons comme les pensées et les voix aussi bien que les cœurs ». Après sa mort, sa sœur Cécile et sa nièce Judith Mardo publièrent la plus grande partie de son œuvre demeurée inédite, où figurent parfois des pages très anciennes (le Printemps, 1603 ; Second Livre de Meslanges, 1612). C’est ainsi que l’« Épithalame » à deux chœurs et la « Guerre », exécutés à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse avec Marguerite de Lorraine-Vaudémont (1581), ne sont, dans les Airs (1608, nos 12 et 24), que des versions remaniées.

L’œuvre de Le Jeune, bien qu’essentiellement vocale, est très variée. Elle comprend une messe catholique (1607), 10 motets, un Magnificat, 347 psaumes et prières (dont 27 en vers mesurés), 67 chansons, 146 airs, 43 chansons italiennes (imitées de Giovanni Ferretti) et 3 fantaisies instrumentales.