Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Le Jeune (Claude) (suite)

Dans les psaumes (1602-1610), Le Jeune utilise les mélodies de Genève traduites en rimes françaises par Clément Marot et Théodore de Bèze, et les traite en multiples fragments, en variant chaque fois le dispositif des voix. La mélodie passe en même temps d’une partie à l’autre, tandis que l’harmonie environnante est modifiée. Certains psaumes atteignent une grande dimension, notamment dans le Dodécacorde, où douze psaumes de 2 à 7 voix sont accordés aux douze modes, selon l’ordre de Gioseffo Zarlino (1517-1590). On retrouve cette même préoccupation technique, qui traduit chez les humanistes un souci constant de retrouver les modèles des Grecs, dans les Octonaires de la vanité et inconstance du monde (1606), écrits sur des textes moralisateurs du calviniste Antoine de Chandieu. Cependant, Le Jeune assimile de manière intéressante tous les modes (sauf le phrygien) au majeur et au mineur. Dans ses madrigaux et ses chansons polyphoniques, il manie avec élégance et virtuosité le contrepoint. Mais c’est dans le genre de la « musique mesurée à l’antique » (le Printemps, 1603 ; Psaumes en vers mesurés, 1606 ; Airs de 1594 et de 1608) qu’il déploie le plus d’invention. Les règles du genre — appliquer au vers français la métrique grecque ou latine et respecter musicalement la durée de la brève et de la longue, égale à deux brèves — n’entravent pas son inspiration. Le Jeune a le don de donner à sa composition légèreté, fluidité et expression en substituant çà et là à certaines valeurs de durée des figures mélismatiques équivalentes, qui ne se développent jamais au point de bouleverser la rythmique. Sans observer un plan stéréotypé, il modifie constamment — comme dans ses psaumes — le nombre des voix. Dans ses Airs, l’exquise chanson « la Bel’Aronde » fait alterner un refrain à 6 voix et un chant à 4 voix. Un autre exemple remarquable est la chanson « Qu’est devenu ce bel œil ? » (Airs, 1608, no 127), où le musicien use d’un mode chromatique rarement employé et qui révèle l’influence italienne. De tous les compositeurs français de son temps (Jacques Mauduit [1557-1627], E. Du Caurroy*, etc.), Le Jeune est celui qui sut tirer le meilleur parti de la musique mesurée. À ce titre, il est le plus illustre représentant de l’humanisme musical. Il fit d’ailleurs, en cherchant à renouveler les « effets » des Anciens, grande impression sur ses contemporains. Il donna aussi à la chanson une nouvelle dimension et surtout une rythmique puissante, qui devait marquer profondément les débuts de l’air de cour. Ses psaumes connurent d’autre part une grande diffusion en Europe.

A. V.

 M. Augé-Chiquet, la Vie, les idées et l’œuvre de J. A. de Baïf (Hachette, 1909). / M. Brenet, Musique et musiciens de la vieille France (Alcan, 1911). / F. A. Yates, The French Academies of the Sixteenth Century (Londres, 1947).

Léman (lac)

Grand lac partagé entre la Suisse (348 km2) et la France (234 km2).


Sa longueur maximale est de 72 km, et sa plus grande profondeur de 310 m. Un saillant, sur la rive sud, face à la ville de Nyon, le divise en deux bassins de taille inégale : le Grand Lac à l’est, le Petit Lac à l’ouest. C’est cette dernière partie qui est souvent appelée le lac de Genève.

Le Léman est installé sur une zone de dislocation. À cet endroit, les plis alpins connaissent un décrochement. À l’ouest, les structures jurassiennes exercent une influence prédominante. Le couloir du Léman constitue l’exutoire principal du Mittelland, qui domine le lac, en moyenne, de 100 à 200 m. Le Léman est ourlé de terrasses caillouteuses étagées, édifiées lors de la fonte des glaces. Ces terrasses ont une étendue considérable sur la rive nord, entre Genève et Lausanne, où elles ont déterminé le paysage morphologique actuel. On les retrouve aussi sur la rive française aux environs de Thonon-les-Bains. La granulométrie des roches est variable et en fait des terres perméables où les sols s’égouttent généralement bien. Ce sont les meilleurs terroirs pour la vigne, surtout lorsqu’ils sont exposés au sud.

À l’époque préglaciaire, il est vraisemblable que le Grand Lac s’écoulait vers la dépression de la Venoge (au nord de Lausanne), en direction du Mittelland, et notamment vers le lac de Neuchâtel. Cette partie de la Suisse était donc drainée vers le Rhin. À l’époque günz, le glacier du Rhône surcreusa la vallée molassique et donc le Grand Lac. On pense que le Petit Lac est l’élargissement provoqué par les glaciers d’une vallée affluente de l’Arve. C’est en partant de cet élargissement que le Grand Lac aurait été capturé. Cette capture bouleversa l’hydrologie du lac et le drainage d’une partie de la Suisse. Le goulet d’étranglement du Rhône dans le Jura (défilé de l’Écluse) a été provoqué par des dépôts morainiques, si bien que les eaux du lac s’accumulèrent un moment jusqu’à une altitude de 425 m, submergeant de larges étendues dans les actuels cantons de Genève et de Vaud. L’enfoncement du Rhône provoqua l’abaissement de la nappe d’eau au stade actuel de 372 m. L’érosion postglaciaire a entamé ces terrasses, mais elles sont encore nettement visibles à l’ouest de Lausanne. L’unité du lac actuel est réalisée par le Rhône, qui s’y déverse en amont. Le lac, toutefois, régularise le cours du fleuve. À son entrée dans le lac, le Rhône édifie un delta en expansion continue. La Drance, près de Thonon, en fait de même. La charge alluviale apportée au lac est énorme. Un système d’écluses, installées aux environs de Genève, est destiné à amortir les variations de niveau que les cours d’eau au régime glacio-nival font subir au lac.

Sur le plan climatique, les bords du lac sont nettement favorisés par rapport aux hauteurs encadrantes. Les températures sont relativement élevées, et les hivers peu rudes. Janvier a une moyenne de 1,8 °C à Genève et de 0,2 °C à Lausanne (à 553 m d’altitude). Nulle part, aux abords du lac, la moyenne de janvier n’est inférieure à 0 °C. Juillet est relativement chaud : 18,8 °C à Genève et 18,2 °C à Lausanne. La moyenne est de 2 °C de plus élevée que dans le Mittelland. Le régime thermique est favorable à la viticulture, qui s’est bien développée sur la rive nord constituant un gigantesque adret. L’encadrement montagneux explique les fortes précipitations : 916 mm à Genève et 1 064 mm à Lausanne ; 40 p. 100 des précipitations tombent en quatre mois, de juin à septembre. La durée d’insolation est une des plus élevées en Suisse : 1 700 heures par an en moyenne pour la rive nord. Juillet comptabilise 250 heures de soleil. Mais septembre, avec 223 heures, est encore favorisé et explique les beaux automnes (ces conditions thermiques permettent une bonne maturation des raisins). La neige tombe pendant moins de trente jours. On ne compte, en moyenne, qu’une vingtaine de jours de brouillard sur les bords du lac. Par contre, les orages sont fréquents. Les bords du lac constituent un « bon pays », fréquenté depuis la préhistoire. C’est que le lac se situe sur la grande voie de passage menant de la vallée du Rhône à la vallée du Rhin et du Danube. La rareté des matières premières n’a guère permis le développement industriel. Aussi les communes et les villes ont-elles des fonctions tertiaires prédominantes qui ne gâchent pas les paysages. Les bords du lac forment une zone de loisirs et de tourisme de réputation internationale. Et l’on comprend que des organismes internationaux (à Genève) ou de grandes entreprises (Nestlé à Vevey, Interfood à Lausanne) aient établi leur siège dans les cités riveraines.

F. R.

➙ Genève / Lausanne / Rhône.