Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
L

Lascaris (dynastie des) (suite)

À ses qualités de grand capitaine, Jean Vatatzès joignit celles d’un sage administrateur, et sa gestion intelligente valut à son peuple un bien-être que l’Empire byzantin n’avait pas connu depuis longtemps. Il encouragea l’enseignement et montra un vif intérêt pour les sciences, réprima les abus traditionnels de l’Administration, s’efforça de soulager la misère des classes les plus déshéritées, fonda de nombreux hôpitaux et des institutions charitables. À cause de cet amour des humbles, on le surnommera « Jean le Miséricordieux ». Pour garantir les frontières, il créa des biens militaires, qu’il confia à des soldats-paysans, et augmenta les effectifs de l’armée. Par une législation excellente, il encouragea l’industrie du tissage, l’agriculture et l’élevage. Pour restreindre l’importation de marchandises et, du même coup, soustraire son pays à l’hégémonie économique des villes italiennes, notamment Venise, tout achat de produits de luxe étrangers fut prohibé : on devait se contenter de la production nationale. La dévastation des États voisins par les Mongols fut aussi une aubaine pour Nicée : les Turcs payèrent en or et en marchandises ses produits alimentaires, ce qui mit l’Empire à l’abri d’une crise de numéraire.

Jean Vatatzès laissa le pouvoir à son fils Théodore II Lascaris (1254-1258). Cet élève très doué du savant Nicéphore Blemmidès (1197-1272) fit de la cour de Nicée un centre scientifique qui attira un grand nombre d’esprits cultivés et favorisa une renaissance intellectuelle. Mais c’était un caractère violent et autoritaire, sujet en outre à des crises d’épilepsie : il multiplia les brimades envers les nobles et les chefs de l’armée dont il suspectait le loyalisme, imposa son autorité à l’Église grecque et témoigna à la papauté, dont le concours ne lui était pas nécessaire, la plus grande froideur. Il réussit à maintenir les conquêtes de son père : le sultan d’Iconium, après avoir soutenu le prétendant au trône, Michel Paléologue, fit la paix avec Nicée et sollicita même son aide contre les Mongols ; Théodore noua des relations diplomatiques avec ceux-ci et repoussa le tsar bulgare Michel Asen, qui avait annexé une partie de la Thrace et de la Macédoine (1256).


La restauration de l’Empire byzantin

À sa mort (août 1258), la couronne échut à son fils Jean IV Lascaris, âgé de sept ans ; la régence fut confiée à Georges Muzalon, favori et principal conseiller du basileus défunt. La haine que l’aristocratie vouait à ce parvenu causa la perte de la dynastie : le régent fut assassiné par des mercenaires francs en pleine église. L’organisateur du complot, le général Michel Paléologue, le remplaça. Élu basileus par les grands dignitaires à la fin de 1258, il relégua promptement l’héritier légitime dans un château du Bosphore et s’occupa de briser la triple coalition occidentale, Sicile, Épire, Achaïe, appuyée par la Serbie, qui mettait en jeu le sort même de l’Empire. De cette première épreuve, le nouveau souverain, Michel VIII Paléologue, se tira brillamment : à l’automne 1259, il écrasa ses adversaires à Pelagonia, en Macédoine bulgare. Pour se prémunir contre une attaque de Venise, le seul ennemi sérieux qui restât en lice, il conclut à Nymphaion, en Asie Mineure, un traité d’alliance offensive et défensive avec les Génois (1261) : en échange de leur concours militaire, ceux-ci se voyaient octroyer dans l’Empire le monopole économique dont avaient jusqu’alors bénéficié les Vénitiens.

Ce traité s’avéra tout de suite désastreux : on n’eut pas besoin de Gênes pour abattre l’Empire latin, car le hasard mit Constantinople entre les mains des Grecs. Le général Alexis Strategopoulos, chargé de surveiller la frontière bulgare avec un détachement de 800 soldats, s’aperçut, en longeant les remparts de la capitale, que ceux-ci n’étaient pas défendus : les habitants lui en ouvrirent les portes, et il y pénétra sans difficulté le 25 juillet 1261. Le 15 août suivant, Michel Paléologue faisait son entrée solennelle dans la ville reconquise, au milieu de l’allégresse générale, et était de nouveau couronné à Sainte-Sophie ; son fils Andronic, âgé de trois ans, devenait l’héritier présomptif ; la restauration de l’Empire s’accompagnait de la fondation d’une nouvelle dynastie, celle des Paléologues*, qui devait régner sur Byzance jusqu’à son dernier jour.

P. G.

➙ Byzantin (Empire) / Latin de Constantinople (Empire).

 J. B. Pappadopoulos, Théodore II Lascaris, empereur de Nicée (Picard, 1908). / A. Gardner, The Lascarids of Nicaea, the Story of an Empire in Exile (Londres, 1912 ; rééd., Amsterdam, 1964). / C. Chapman, Michel Paléologue, restaurateur de l’Empire byzantin (E. Figuière, 1927).

Las Casas (Bartolomé de)

Prélat espagnol (Séville 1474 - Madrid 1566).


« Un moine, sans lettres et sans piété, envieux, vaniteux, passionné [...] et par-dessus tout scandaleux, à tel point que partout où il a résidé dans ces Indes on a été contraint de l’expulser [...]. » Voilà le portrait d’un personnage peu recommandable. Il est tracé en 1543 par les Espagnols du Guatemala. Mais l’homme sera encore scandaleux quatre cents ans plus tard pour certain défenseur de l’« hispanicité ». Des adversaires plus ou moins déclarés de l’Espagne et de son œuvre, en particulier chez les Anglo-Saxons, ont en effet abondamment pillé l’œuvre polémique de Las Casas. Peut-être, aussi, les chiffres des victimes que celui-ci donne ont-ils été gonflés : on lui a beaucoup reproché ses « exagérations » (comme si, aujourd’hui encore, nos massacres de populations innocentes étaient recensés avec rigueur !). En fin de compte, l’incontestable génocide des Indiens a été dénoncé presque immédiatement, et avec quelle vigueur, par le compatriote des criminels : d’autres peuples colonisateurs auraient sans doute la conscience moins impure s’ils avaient engendré de tels justiciers.