Las Casas (Bartolomé de) (suite)
Fils d’un compagnon de Colomb, Bartolomé de Las Casas fait d’honnêtes études à Séville et, comme tant d’autres, va chercher un état en Amérique ; il débarque en 1502 à Saint-Domingue, où il se fait le complice du système de l’encomienda, qu’il cherchera tant à abattre : il bénéficie d’une « attribution » (repartimiento) d’Indiens pour mettre en valeur son domaine. Soucieux de s’enrichir, il semble pourtant constater assez vite l’inhumanité de cet esclavage, qui apparaît comme largement responsable du dépeuplement effrayant des Antilles et qui est déjà dénoncé par certains religieux. Ordonné prêtre vers 1510, il accompagne, comme aumônier, une expédition guerrière à Cuba (v. 1513) : il laissera un récit épouvantable des massacres d’Indiens dont il est le témoin. Sa participation à la conquête de Cuba lui vaut pourtant dans cette île une nouvelle encomienda. Peu après, vers la Pentecôte de 1514, une méditation sur un verset de l’Ecclésiaste l’engage sur la voie de la condamnation du système. Il commence par donner l’exemple en renonçant à toute la main-d’œuvre indienne dont il bénéficiait jusqu’alors. Puis il inaugure sa carrière « scandaleuse » le jour de l’Assomption, en prêchant contre les cruautés dont les Indiens sont les victimes. Il se rend enfin en Espagne pour présenter au roi un projet de « réformation des Indes » (1516). Il ne s’agit encore, dirait-on aujourd’hui, que de présenter une forme de « néo-colonialisme » : les véritables intérêts de la Couronne passent par la meilleure mise en valeur possible des Indes occidentales ; mais, pour atteindre ce but, il faut ménager leurs habitants et favoriser leur développement démographique en suspendant le travail forcé. Las Casas fait une proposition (qui lui sera tant reprochée par la suite par des censeurs souvent hypocrites) : remplacer les Indiens par les Noirs, plus résistants, pour les travaux dans les mines. Mais l’« apôtre des Indiens » ne tarde pas à regretter cette solution irréfléchie.
Pour prêcher le bon exemple, Las Casas s’engage ensuite dans une tentative personnelle de colonisation : il obtient une concession sur la côte de la « Terre Ferme » (1519). Des aventuriers ont vite fait de commettre mille exactions chez les tribus indiennes, qui se révoltent. L’échec est total pour Las Casas : il connaît une nouvelle crise morale, renonce au temporel et se fait dominicain (1522). Désormais, il va pouvoir se cultiver, devenir tout à la fois théologien et juriste, et donner une nouvelle dimension à son combat.
En 1531, une lettre au Conseil des Indes dénonce le génocide des Indiens, qui « ont été massacrés sans aucune justice par nos compatriotes espagnols, lesquels les ont brûlés ou rôtis sur des grils, jetés aux chiens sauvages, passés au fil de l’épée sans épargner les enfants, les vieillards, ni les femmes enceintes, choisissant quelquefois les sujets les plus gros pour pouvoir leur enlever la graisse, réputée efficace pour guérir les blessures des meurtriers [...]. »
Devenu missionnaire, Las Casas connaît enfin de beaux succès au Nicaragua et surtout au Guatemala (1537), où la « Terre de Guerre » va devenir celle de la Vraie Paix (Vera Paz).
Las Casas est de retour en Espagne en 1540 ; son action inlassable est marquée notamment par la rédaction de la terrible Brevísima Relacíon de la Destrucción de las Indias. Las Casas est pour beaucoup dans l’adoption des « lois nouvelles » (1542 et 1543), qui tenteront d’aboutir à l’extinction du système de l’encomienda.
Nommé en 1544 évêque de Chiapa, aux confins du Mexique et du Guatemala, il revient dans une Amérique en révolte plus ou moins ouverte contre les lois nouvelles : après des conflits violents avec ses ouailles espagnoles, il doit se résigner à temporiser, puis à abandonner la lutte ; il retourne définitivement en Espagne dès 1547. Le prélat continue son combat en faveur des Indiens, et notamment ceux du Pérou, conservant une influence certaine sur le pouvoir et ouvrant notamment un débat passionné sur la colonisation de l’Amérique avec le théologien Juan Ginés de Sepúlveda (1549-1550). Après avoir rédigé son Historia de las Indias, la fin de sa longue vie est toutefois marquée par une certaine prudence.
S. L.
M. Mahn-Lot, Barthélemy de Las Casas, l’évangile et la force (Éd. du Cerf, 1964). / M. Bataillon, Études sur Bartolomé de Las Casas (Institut d’études hispaniques, 1966). / H. R. Wagner, The Life and Writings of Bartolome de Las Casas (Albuquerque, New Mex., 1967). / M. Bataillon et A. Saint-Lu, Las Casas et la défense des Indiens (Julliard, coll. « Archives », 1971).