Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

Le droit civil : un droit marqué par ses origines

Napoléon avait emporté la décision dans la discussion de quelques articles controversés : il avait fait prévaloir l’autorité du père de famille sur les enfants, celle du mari sur la femme, les intérêts des enfants légitimes sur ceux des enfants naturels et la suprématie du patron sur l’ouvrier. Mais il avait insisté pour que le divorce fût maintenu, alors que Portalis s’était montré partisan de sa suppression (Bonaparte songeait en effet à divorcer). Napoléon fit consacrer par le Code civil les grandes conquêtes sociales de la révolution de 1789 : abolition du régime féodal et des ordres privilégiés, égalité devant la loi, propriété pleine et entière au sens romain du mot...

• Le mariage.

Le Code sécularise le mariage*. Dans son acception, le « mariage civil » est en réalité la vérification que les conditions légales du mariage sont effectivement réunies. (L’acte religieux est d’une autre nature, en soi radicalement indépendant.) Le divorce par consentement mutuel, divorce brisant le mutuus consensus, est admis comme une des conditions propres à faire régner l’individualisme dans le droit de la famille. Le droit civil français verra cependant son histoire traversée par la contre-révolution : la Restauration abolira, en 1816, le divorce, seulement rétabli beaucoup plus tard. Le droit de la famille, sécularisé en 1804, redeviendra pour un temps un droit fondé sur des principes religieux. Le droit canonique aura priorité sur le droit civil, tous les Français étant considérés comme catholiques. Le mariage religieux cependant suit l’acte civil et ne vaut plus acte de mariage en tant que tel. Après 1830, l’évolution reprendra sa marche en avant, la sécularisation devenant irréversible.

• La situation juridique des époux.

Le Code civil consacre pour plus d’un siècle l’idée de « puissance maritale ». Le régime matrimonial de base, la communauté, voit la femme mariée dépourvue de tout droit d’être associée à l’administration des biens de la communauté ou des siens propres. Le principe de l’autorité maritale va triompher pour longtemps, la femme mariée ne pouvant pas, pratiquement, accomplir d’actes juridiques, incapable qu’elle est de donner, d’aliéner, d’acquérir, d’ester en justice sans le concours de son mari, sauf cependant si elle exerce, avec, d’ailleurs, l’accord de son mari, la profession de marchande publique.

L’amélioration de la condition juridique de la femme mariée s’opérera lentement. C’est plus dans les mœurs, en fait, et dans la doctrine affirmée que l’évolution se percevra : le rôle dans la société et la civilisation de la femme est considérable, affirment, dès avant 1850, les saint-simoniens. Le droit privé familial va voir fléchir le primat de l’autorité maritale, surtout avec la profonde transformation sociale : l’émigration vers la ville, la vie de la femme au travail réduisent le nombre d’heures utilisables pour la vie commune. L’autoritarisme marital va tendre à se transformer en une collaboration, sur un pied d’association, avec la femme, à la fois en ce qui concerne l’éducation des enfants et (tâche pour laquelle la présence de la femme s’impose avec une netteté éclatante) l’administration du (ou des) patrimoine de la cellule familiale.

• Une certaine conception de l’institution familiale.

On définit aussi, en rédigeant le Code, une certaine morale du mariage... Il est interdit de rechercher la paternité réelle d’un enfant, sauf si, lors de la conception de celui-ci, il y a eu enlèvement de la mère. En dehors de ce cas, le père est « celui que les noces présument », c’est-à-dire le mari de la mère (v. filiation).

L’infidélité de la femme est sanctionnée durement : des peines sévères peuvent lui être infligées, allant de trois mois à deux ans de prison. Le mari échappe, lui, à cette sévère répression, sauf s’il introduit une concubine au domicile conjugal, mais même alors il n’encourt que la peine d’amende de 1 000 à 2 000 francs. Situation profondément inégale, donc, à l’égard des fautes commises contre l’institution du mariage par l’un ou l’autre des deux conjoints. Seule une législation très récente modifie cette choquante inégalité.

• La puissance paternelle.

Le Code a confié au père une autorité extrêmement forte, lui donnant pratiquement le droit de régler le style même de la vie de l’enfant. Il doit accorder à l’enfant sa protection, mais, en retour, il peut exiger les services de celui-ci, a le droit de garde, le droit de correction, le droit de faire interner l’enfant ; jusqu’en 1882, il conservera le droit de le priver de toute instruction. Il détient également celui d’administrer les biens de l’enfant : s’il le place en apprentissage, il conserve sa puissance paternelle, derrière la fiction juridique selon laquelle les maîtres ne sont que les préposés temporaires des parents. Il faudra attendre la réforme de la loi du 4 juillet 1970 pour que l’autorité parentale se substitue à la puissance paternelle.

• Le droit des patrimoines.

Rétrograde au plan de l’autorité maritale et de l’extrême abaissement de la condition juridique de la femme, le droit civil français, par contre, se montre, ou semble se montrer, résolument novateur quant à sa conception du patrimoine*. Des considérations d’ordre politique et économique militent en faveur de la répartition harmonieuse de celui-ci dans l’ensemble du pays. Dans la famille, l’intérêt de chaque descendant (sans préférence marquée à l’égard d’un enfant par rapport à un autre) l’emporte sur la situation sociale du groupe familial, et l’individualisme sur la cohésion de la communauté. En fait, le système fera pression en faveur de l’enfant unique, seule situation non destructrice de patrimoine et ne divisant pas les fortunes.