Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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juridiques (sciences) (suite)

L’évolution du droit civil français après le Code civil

Les étapes de l’évolution

Une codification* ne fixe pas le droit d’un peuple, car la vie du droit ne s’arrête jamais. Napoléon le savait bien, qui aurait dit en parlant de ses Codes : « Il faudra les refaire dans trente ans. »

Les transformations économiques, sociales et philosophiques sont à la base des révisions qui s’imposent. Ces transformations sont lentes en principe, mais les modifications du droit s’accélèrent soit lorsqu’un mouvement social important se déclenche, soit lorsque intervient un pouvoir politique fort, ces deux facteurs allant parfois de pair.

Le Code civil, avec son esprit individualiste et libéral, représentait pour les classes bourgeoises l’idéal législatif. Comme pendant les trois premiers quarts du xixe s. le pouvoir politique a appartenu en France aux classes bourgeoises, le Code s’est peu modifié. D’ailleurs, il bénéficiait encore du fait qu’il était apparu comme l’« évangile des temps nouveaux » ; les nations étrangères confirmèrent cette admiration en l’adoptant pour elles-mêmes.

À partir de 1880, le suffrage universel prend conscience de sa force, et toute notre législation s’inspire de l’idéal démocratique. Les lois se multiplient. Le législateur intervient de façon incessante pour encadrer les activités privées et l’économie générale. Il répond à la pression grandissante des syndicats et des associations. Ce mouvement s’accentue après la guerre de 1914-1918. L’État, traditionnellement juge et gendarme, se met à s’occuper de l’hygiène, de l’éducation, des conditions de travail ; il intervient de plus en plus dans des rapports autrefois réservés au domaine des simples particuliers. Ce phénomène a pu être baptisé « publicisation » du droit privé et s’est concrétisé, à sa limite, par les nationalisations.

Les travaux de réforme se poursuivent après la guerre de 1939, animés par rapport de plus en plus considérable du droit comparé. En 1945 est créée une commission de réforme du Code civil, dont les travaux malheureusement ne pouvaient aboutir à une révision générale du Code, car aucun des grands problèmes juridiques qui se posaient en France au milieu du xxe s. ne pouvait être résolu par une commission qui n’avait pas elle-même vocation législative et parce qu’on ne codifie pas un droit en pleine évolution.

Aux environs des années 1960 s’opère dans le monde entier une véritable révolution philosophique. Le gouvernement français propose au Parlement une série de textes qui portent profondément atteinte à certaines notions de notre droit, plus particulièrement au droit de la famille et, par contrecoup, au droit de la capacité* et des successions*.

Les principales réformes

• Droit de la famille. La législation, tout en favorisant le mariage en vue de l’accroissement de la natalité, a en même temps voulu libérer les individus des contraintes familiales. (Le divorce, supprimé en 1816, a été rétabli en 1884 [v. mariage].)

Le mariage a été grandement facilité par la réforme des publications, les facilités données pour le consentement des parents, la suppression de certains empêchements au mariage et la restriction des oppositions. Toutefois, la reconnaissance par les lois sociales de l’union libre, par la jurisprudence de l’intérêt légitime du concubin en matière de responsabilité civile, ainsi que la loi sur la filiation de 1972 portent une atteinte certaine au mariage.

La situation de la femme mariée a été profondément modifiée ; son incapacité, atténuée en 1907 par la loi sur le libre salaire, a été supprimée en théorie par la loi de 1938, dans la pratique par la loi de 1942 qui a reconnu à la femme mariée la pleine capacité et, surtout, par la loi de 1965 qui modifie les régimes matrimoniaux (v. mariage) et par la loi de 1970 sur l’autorité parentale, qui enlève au mari sa qualité de chef de famille et confie un rôle égal à l’homme et à la femme dans l’exercice de cette autorité. Sa situation a été également modifiée à son avantage du point de vue du secours alimentaire et de la législation successorale nouvelle (v. succession).

Les enfants ont été protégés par la déchéance de la puissance paternelle, l’atténuation du droit de correction, l’organisation de l’administration légale. Les enfants naturels ont vu en 1972 leur situation considérablement modifiée, tant en ce qui concerne les enfants naturels simples qu’en ce qui concerne les enfants appelés jadis adultérins, dont l’un des parents au moins était uni avec une tierce personne par les liens du mariage au moment de leur conception (v. filiation). L’adoption a été réformée en 1966 (v. adoption).

Beaucoup de ces réformes, quoique louables dans leur intention, ont néanmoins porté profondément atteinte au droit de la famille.

• Droit des biens. Dans le droit des biens* et quoique la propriété foncière (v. exploitation agricole) ait été en principe respectée sous réserve de facilités plus grandes d’expropriation*, l’exploitation de la propriété est aujourd’hui entravée par un grand nombre de limitations légales édictées soit dans l’intérêt général, soit même dans l’intérêt de titulaires d’autres droits, les locataires par exemple. En matière de transmission de la propriété foncière, la transcription a été l’objet en 1935 et 1955 de réformes importantes. Pour mieux tenir compte de la valeur du travail, le législateur a été amené à reconnaître des nouvelles formes de propriétés : propriété commerciale et propriété culturale.

• Droit des obligations. Le droit des contrats a été profondément atteint par la législation nouvelle qui touche à la liberté de contracter, à la force obligatoire des conventions et à la possibilité d’exécution. Le législateur a voulu protéger ceux qu’il jugeait trop faibles pour défendre leurs intérêts dans la discussion, ceux qui se sont engagés et dont les circonstances déjouent les prévisions, ceux qui ne peuvent pas tenir leurs engagements. L’esprit démocratique l’a poussé à protéger le débiteur plutôt que le créancier. En même temps, comme les contrats privés pouvaient ne pas être conformes à l’économie qu’il voulait diriger, il annulait les clauses jugées contraires à l’ordre public. Il ne s’agit cependant pas de règles juridiques générales : c’est à propos de certains contrats (par exemple le louage d’immeubles, la vente des fonds de commerce, l’assurance, les transports et le contrat de travail) que l’État est intervenu (v. contrat).