Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jordanie (suite)

Il entreprend par la suite le contrôle de tous les rouages du pays. C’est ainsi qu’il dissout le 22 décembre 1966 la Chambre des députés, dont plusieurs membres ne cachent pas leur sympathie au courant nationaliste. Et, pour avoir une Chambre « introuvable », il confie la préparation des élections à un gouvernement constitué au mois de mars 1967 sous la présidence de son oncle, le chérif Ḥusayn ibn Naṣr. Parallèlement, l’État renforce son contrôle sur la presse, en remplaçant les journaux jordaniens par de nouveaux quotidiens, dont 25 p. 100 des actions appartiennent au gouvernement. Accusant l’organisation de libération de la Palestine (O. L. P.) d’être à l’origine de tous les troubles, le roi Ḥusayn lui ferme son bureau à Jérusalem et lui retire en février 1967 la reconnaissance de son gouvernement. Le même mois, la Jordanie rompt ses relations diplomatiques avec le régime républicain du Yémen et avec la République arabe unie (R. A. U.), considérée comme le centre de l’agitation antihāchémite.

Parallèlement à cette politique, qui aggrave l’isolement de son pays, Ḥusayn établit des relations avec les régimes antinassériens. Exploitant les contradictions du mouvement nationaliste qui se manifestent dans les rivalités égypto-irakiennes, il n’hésite pas à renouer en octobre 1960 les relations diplomatiques avec le régime du général Kassem. Il renforce également ses rapports avec les régimes arabes conservateurs, essentiellement ceux du Koweït et de l’Arabie Saoudite. En 1962, un traité de défense commune est négocié avec le Koweït avec l’accord du gouvernement saoudien. Et, en décembre 1966, un commandement militaire commun est créé avec l’Arabie Saoudite.

Ces alliances sont encouragées par les puissances anglo-saxonnes, dont les intérêts au Proche-Orient sont étroitement liés à ces régimes. Ḥusayn table sur leur aide pour remédier aux difficultés économiques que connaît son pays. Un plan septennal, élaboré en 1965, vise le développement de l’agriculture, l’essor du tourisme et l’exploitation des phosphates de la mer Morte. Les États-Unis et la Grande-Bretagne contribuent au financement de ce plan. Elles fournissent une aide économique et financière au royaume hāchémite pour lui permettre de faire face à un courant nationaliste de plus en plus marqué par des tendances anti-impérialistes. Et, pour assurer sa défense et sa protection, les États-Unis lui donnent au mois de février 1967 une importante aide militaire.


La guerre des six jours et ses conséquences

Accusé de trahison et de complicité avec Israël, le roi de Jordanie doit cependant, sous la pression des événements, changer de politique et se rapprocher de nouveau du courant nationaliste. Devant la montée de la tension au Moyen-Orient et les perspectives d’une nouvelle guerre israélo-arabe, il renoue avec l’Égypte pour éviter d’être emporté par le mouvement de solidarité arabe contre Israël. Au mois de mai 1967, il rend visite à Nasser et conclut avec lui un accord militaire qui place les troupes jordaniennes sous un commandement interarabe dirigé par un officier égyptien. Quelques jours plus tard, le 5 juin 1967, la Jordanie se trouve engagée dans la troisième guerre israélo-arabe*. Celle-ci sera lourde de conséquences pour le petit royaume hāchémite.

La Légion arabe, fer de lance du régime, est défaite, et le pays, amputé d’une bonne partie de son territoire, est réduit aux limites de l’ancienne Transjordanie. La perte de la Cisjordanie prive le royaume hāchémite de ses terres les plus riches, et l’occupation de la vieille ville de Jérusalem par les forces sionistes lui enlève des ressources substantielles provenant du tourisme. Aussi, la situation économique, déjà fort mauvaise, s’aggrave-t-elle davantage. Bien plus, privée de ses revenus les plus sûrs, la Jordanie doit accueillir de nouveaux réfugiés palestiniens, chassés de leurs terres au cours de la troisième guerre israélo-arabe.

Le nationalisme arabe, exacerbé par la défaite de juin 1967, connaît un certain regain, et la résistance palestinienne, bénéficiant de cette conjoncture, renforce ses positions avec la solidarité agissante de l’opinion publique arabe. Très vite, elle constitue en Jordanie un État dans l’État, et Ḥusayn semble même, par moments, jouer le rôle d’écran entre la résistance et l’État d’Israël.

Mais la résistance ne tarde pas à être minée par ses contradictions, et l’opinion publique arabe, avec la fin de la tension, perd de sa vigilance. Le roi de Jordanie exploite la nouvelle conjoncture pour réorganiser son armée et reprendre le contrôle de la situation. Au mois de septembre 1970, il mène une lutte sanglante contre la résistance palestinienne. Nasser, en perte de prestige, parvient tout de même à arrêter les massacres et à imposer à Ḥusayn un accord dans le cadre d’une conférence des pays arabes, tenue au Caire à la suite des événements de Jordanie.

Avec la mort de Nasser, survenue subitement à la fin de la conférence, Ḥusayn a les mains libres pour violer les accords du Caire et achever la résistance palestinienne, rudement touchée par le coup de septembre 1970. À la fin de 1971, celle-ci se trouve considérablement affaiblie dans le royaume hāchémite, et le roi de Jordanie semble dominer la situation.

Les problèmes jordaniens ne sont pas pour autant résolus. La Jordanie reste, comme en 1967, amputée de ses terres les plus riches et privée de ses ressources les plus sûres. Le roi Ḥusayn tente difficilement de sortir son pays de cette situation. Il est aujourd’hui partagé entre le désir de trouver un compromis avec Israël et la crainte des conséquences d’une telle démarche sur l’avenir de son régime. En effet, toute discussion avec les sionistes, considérés comme des usurpateurs, constitue aux yeux de l’opinion publique arabe une trahison à la cause palestinienne. Au surplus, les Palestiniens, quoique rudement touchés, ne disparaissent pas de la scène politique et rappellent par des coups extrêmement audacieux leur existence à l’opinion publique internationale et aux gouvernements arabes. Le 28 novembre 1971, ils exécutent au Caire le Premier ministre jordanien, Waṣfī al-Tall, considéré comme l’un des principaux responsables des massacres de septembre. Cet attentat est destiné, certes, à venger les résistants exécutés par les forces jordaniennes, mais aussi à mettre en garde les dirigeants arabes contre toute solution qui sacrifie la cause palestinienne. Dans ces conditions, les problèmes de la Jordanie deviennent de plus en plus complexes, et toute démarche entreprise par le roi Ḥusayn pour leur trouver des solutions, sans tenir compte des Palestiniens, comporte de grands risques pour l’avenir du régime hāchémite. Cette complexité explique l’attitude de la Jordanie durant la « guerre du Kippour » (octobre 1973) : intervention de troupes jordaniennes contre Israël, mais sans belligérance officielle.

M. A.

➙ ‘Ammān / Arabes / Israël / Jérusalem / Moyen-Orient / Palestine.