Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Joffre (Joseph) (suite)

Ayant obtenu que soient fusionnés en sa personne les postes de chef d’état-major général et de généralissime désigné, Joffre, qui a appelé Castelnau* auprès de lui comme major général, se met aussitôt au travail pour préparer l’armée à la lutte redoutable qui l’attend. Il témoignera de moins de bonheur en avril 1914 dans le remaniement du plan d’opérations (plan XVII), qui, se résumant à foncer toutes forces réunies sur l’adversaire, tient plus de l’acte de foi que du plan de manœuvres.

Quand, le 5 août 1914, A. Messimy, ministre de la Guerre, prend congé de Joffre, qui rejoint son quartier général de Vitry-le-François, un véritable transfert de pouvoir s’accomplit : le gouvernement s’efface devant le Commandant en chef des armées du Nord et du Nord-Est, sur qui repose désormais la responsabilité du destin du pays. Les semaines qui suivent marqueront le sommet de l’existence de Joseph Joffre. Elles débutent pourtant bien mal ; malgré Lanrezac, qui a vu clair contre le G. Q. G., ce n’est que vers le 20 août que Joffre perçoit l’ampleur du mouvement de l’aile droite allemande en Belgique, et il lui faut les deux coups fourrés de Lorraine et des Ardennes et le coup de boutoir allemand sur la Sambre (Charleroi) pour qu’il constate la faillite de son plan. Cependant, soutenu par la confiance de son ministre Millerand* (qui a remplacé Messimy le 26), secondé par un état-major dynamique où émerge, à côté du lucide optimisme de Gamelin*, la prudence des généraux Belin et Berthelot, il ne se laissera pas démonter par l’ampleur des premiers succès allemands. S’il accepte de céder du terrain jusqu’à prescrire le 30 août un repli général vers la Seine, c’est avec la volonté de reprendre ses armées en main. Aussi, dès qu’il perçoit l’infléchissement de l’armée Kluck à l’est de Paris, jour après jour se construit dans son esprit la manœuvre d’où sortira en septembre l’étonnante victoire de la Marne. « Il fut le seul, dira Foch, qui fût capable à cette heure d’un pareil calme, et ce calme sauva tout. » Quelle que soit en effet l’importance du rôle joué par ses grands subordonnés, notamment par Gallieni et Foch, il est certain que c’est sur Joffre et Joffre seul qu’a pesé la responsabilité de cette immense bataille. Son succès lui donnera une autorité considérable tant sur les armées, où il n’a pas hésité à remplacer en pleine bataille plus de cent généraux, que sur le gouvernement et sur le pays.

Pressentant l’importance de son aile gauche, il confie à Foch*, dont il fait son adjoint le 4 octobre, le commandement entre l’Oise et la mer. Le lendemain, il reçoit pour la première fois le président Poincaré à son quartier général : le grand problème est déjà celui des munitions et des fabrications. À la fin de 1914, la guerre s’enlise dans les tranchées, et, en 1915, Joffre doit se contenter de « grignoter l’ennemi » par de coûteuses attaques locales, qui lui seront souvent reprochées. Ce n’est que le 25 septembre qu’il peut déclencher à la fois en Champagne et en Artois la grandiose offensive dont il attend la rupture du front allemand et la libération du territoire. Son échec lui révèle la nécessité d’une véritable coordination des opérations entre les différents fronts de la guerre. Aussi en jette-t-il les bases au cours des deux réunions qu’il dirige à son quartier général de Chantilly en juillet et en décembre 1915, auxquelles participent le maréchal French et les représentants des commandements belge, russe, serbe et italien. Le gouvernement en reconnaît l’importance en nommant Joffre, le 2 décembre 1915, commandant en chef des armées françaises sur l’ensemble des théâtres d’opérations, ce qui revient, en particulier, à placer sous son autorité l’armée française d’Orient. Ainsi sera arrêté le plan de campagne pour 1916, qui prévoit au début de l’été deux grandes offensives simultanées sur les fronts français et russe.

Ces projets sont remis en cause par la brutale offensive allemande déclenchée sur Verdun le 21 février 1916. Dès le 25, Joffre délègue Castelnau, son adjoint, pour y réorganiser le commandement de la défense, confié le 26 à Pétain*, mais le généralissime continue, envers et contre tout et tous, à préparer l’offensive franco-anglaise qui, débouchant le 1er juillet sur la Somme, soulagera grandement le front de Verdun. En 1916, toutefois, Joffre n’est plus intangible : son autorité, usée par deux ans de guerre, est mise en cause dans les milieux politiques. Il a perdu Millerand, remplacé en octobre 1915 comme ministre par Gallieni, avec qui il s’entend mal. Aussi Briand* décide-t-il, en remaniant son gouvernement, où Lyautey* devient ministre de la Guerre (14 déc. 1916), de sacrifier en même temps Joffre et Foch au mécontentement d’une opinion usée, elle aussi, par la bataille de Verdun. Nommé de façon éphémère « conseiller du gouvernement » (16-28 déc.), Joffre, qui a été fait maréchal de France le 26 décembre, cesse toute fonction officielle. Il ne reprendra de l’activité que très provisoirement aux mois de mars et d’avril 1917 comme représentant de l’armée française aux États-Unis, au moment de leur entrée en guerre.

Élu à l’Académie française en février 1918, il participera aux côtés de Foch au défilé de la victoire du 14 juillet 1919. Il accomplira encore une mission en Espagne (1919) et une autre en Roumanie (1920), puis se retirera à Paris dans une retraite pleine de dignité. Il dirigera la rédaction de ses Mémoires (2 volumes), qui, publiés après sa mort, en 1932, apporteront une précieuse contribution à l’histoire de la Première Guerre mondiale. Après des obsèques nationales, il sera inhumé dans sa propriété de la Châtaigneraie à Louveciennes.

P. D.

➙ Guerre mondiale (Première) / Marne (bataille de la).

 B. H. L. Hart, Reputations (Londres, 1928 ; trad. fr. Réputations : Joffre, Falkenhayn, Haig, Payot, 1931). / M. A. Desmazes, Joffre, ou la Victoire du caractère (Nouv. éd. latines, 1955). / P. Varillon, Joffre (Fayard, 1956). / J. d’Esme, le Père Joffre (France-Empire, 1962).