Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jeanne d’Arc (sainte) (suite)

Jeanne d’Arc, chef de guerre

Dotée à Tours, en mars 1429, d’un étendard sur lequel est peint le Christ entre deux anges, d’une bannière et d’un pennon comme un chef de guerre, Jeanne d’Arc semble bien n’avoir jamais exercé officiellement le commandement des armées de Charles VII, dont les conseillers se méfient de son inexpérience et redoutent son prestige.

Lorsqu’elle se rend à Blois le 28 avril 1429, l’armée royale de secours est commandée par Jean de Brosse, dit le maréchal de Boussac ; lorsqu’elle entre à Orléans, le 29 avril, le commandement appartient à Dunois ; lorsque débute la chevauchée du sacre, le 29 juin, c’est le duc d’Alençon qui exerce cette fonction ; lorsqu’en octobre s’organise l’attaque des forteresses ligériennes, Charles d’Albret, demi-frère de Georges de La Trémoille, et de nouveau le maréchal de Boussac sont placés à la tête des troupes royales. Et, en fait, ce n’est qu’en avril 1430 quelle devient réellement maîtresse de ses mouvements, lorsqu’elle quitte Sully-sur-Loire de sa propre autorité pour mener campagne en Île-de-France en compagnie de Jean Poton de Xaintrailles.

De plus, Jeanne est aussi tenue à l’écart des décisions essentielles. À son insu, les capitaines français la font arriver aux abords d’Orléans le 29 avril 1429 par la rive gauche, alors qu’elle pense gagner la ville directement par la rive droite. Les mêmes capitaines attaquent le 4 mai dans l’après-midi la bastille Saint-Loup sans la prévenir et tiennent le 5 un conseil où elle n’est pas admise sous le fallacieux prétexte de garder le secret sur le plan d’attaque adopté. Du 30 juin au 2 juillet, Georges de La Trémoille, préférant négocier la neutralité d’Auxerre, l’empêche de prendre la ville d’assaut, et, en juillet, Regnault de Chartres, jugeant Troyes imprenable, lui interdit longtemps l’accès au Conseil royal. De même, elle ne peut empêcher Charles VII ni de tergiverser dans sa marche sur Paris en juillet-août 1429, ni de signer une trêve avec le duc de Bourgogne le 28 août, ni de dissoudre l’armée du sacre à Gien le 21 septembre. Écartée des centres de décision, Jeanne d’Arc est pourtant seule à l’origine du redressement spectaculaire de la situation militaire en 1429. Comment expliquer ce paradoxe apparent ?

Avant de répandre inutilement le sang, Jeanne adresse toujours des lettres à ses adversaires, leur demandant de se retirer ou de se soumettre de leur plein gré. Aussi, à la veille de la reprise d’Orléans, fait-elle porter le 22 avril une lettre au roi d’Angleterre, au duc de Bourgogne et aux capitaines anglais présents devant la ville, lettre dans laquelle elle leur demande de se retirer en Angleterre. Faute de réponse positive, elle en envoie une autre au bout d’une flèche, puis somme le capitaine des Tourelles d’évacuer la place pour éviter d’être tué. La veille et le jour du sacre, elle écrit également au duc de Bourgogne pour le supplier de se réconcilier avec le roi. En vain. Par là, elle souligne mieux le caractère mystique de sa mission, qui lui impose de n’utiliser l’épée que comme ultime recours, ultime, mais décisif.

Utilisant avec habileté l’artillerie, donnant l’exemple au risque de sa vie puisqu’elle est blessée d’un trait de flèche à l’épaule devant la bastille des Tourelles le 7 mai 1429 et à la cuisse devant la porte Saint-Honoré à Paris le 8 septembre, Jeanne a l’immense mérite de contraindre les capitaines à l’offensive et de les y maintenir lorsque la crainte de l’échec les incite à renoncer. Ainsi, le 4 mai 1429, son intervention non prévue ranime le courage fléchissant des Français, qu’elle emmène elle-même à l’assaut final de la bastille Saint-Loup. Le 6, bousculant les plans élaborés sans elle, elle s’empare par surprise de la bastille Saint-Jean-le-Blanc et surtout de la bastille des Augustins, à la faveur d’une sortie imprudente de ses défenseurs, pourtant supérieurs en nombre aux forces dont elle-même et La Hire disposent ; enfin, le 7, elle contraint Dunois à prolonger l’assaut qui fait tomber les Tourelles, dont la chute amène Talbot à lever le siège d’Orléans dès le 8 mai.

De même, sans son intervention personnelle et décisive, Charles VII et son Conseil n’auraient pas osé rencontrer en rase campagne les Anglais à Patay le 18 juin, ni entreprendre la chevauchée du sacre, ni user de la force pour contraindre Troyes à capituler le 10 juillet. Menant l’armée royale droit vers son objectif, elle atteint en un temps record Reims le 16 juillet.

Mais à peine le résultat essentiel est-il acquis que le caractère hésitant du souverain oblige Jeanne à consacrer ses forces non pas à vaincre l’adversaire, mais à convaincre le roi de ne pas refuser la victoire que le ciel lui offre si généreusement. Ainsi s’expliquent les échecs subis dès lors par Jeanne et la nécessité à laquelle elle se sent contrainte de prendre la tête de quelques centaines d’hommes pour tenter de parachever sa mission avant la Saint-Jean-Baptiste 1430, c’est-à-dire avant qu’elle ne soit capturée par ses adversaires comme le lui ont annoncé ses voix.


La mission

Accompagnée de deux écuyers, Jean de Novellompont, dit de Metz, et Bertrand de Poulengy, d’un messager du roi, Jean Colet de Vienne, et de leurs valets, elle quitte Vaucouleurs, sans doute le 13 février 1429, sans avoir revu ses parents. Après un dangereux voyage par Auxerre et Gien, elle arrive le 23 février à Chinon, où réside Charles VII*.

Celui-ci semble alors à la merci des Anglais. Que ceux-ci s’emparent d’Orléans, porte du Berry, et c’en sera fait du « roi de Bourges », dont l’une des dernières armées vient d’être dispersée en Beauce lors de la « journée des harengs », le 12 février 1429. Aux abois, frappé par ailleurs par la prophétie selon laquelle la France, perdue par une femme (Isabeau de Bavière), serait sauvée par une vierge, Charles VII consent à recevoir Jeanne le soir du 25 février dans la grande salle du château de Chinon. Jeanne le reconnaît immédiatement, quoiqu’il se soit dissimulé parmi les hôtes de la Cour, et lui annonce qu’elle vient, au nom de Dieu, pour le faire sacrer à Reims légitime roi de France. Puis au cours d’un entretien secret, elle lui apporte sans doute une preuve décisive de sa légitimité, ce dont semble témoigner la joie du « gentil dauphin ».