Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
J

Jeanne d’Arc (sainte) (suite)

Jeanne est soumise par ordre du Conseil royal à l’examen d’une commission de théologiens et de canonistes réunie à Poitiers pendant trois semaines ; cet examen conclut à l’authenticité de sa foi, tandis que des matrones confirment sa virginité, preuve qu’elle n’entretient aucun commerce avec le diable. Elle est autorisée à se rendre à Tours. Elle y reçoit l’équipement d’un capitaine banneret et une épée qui, sur ses indications, est découverte dans le sol de la chapelle de Sainte-Catherine-de-Fierbois. Pourvue d’une maison militaire, Jeanne rallie à Blois la dernière armée de Charles VII, qui doit faire entrer un convoi de vivres dans Orléans, où elle pénètre avec une avant-garde le 29 avril au soir en compagnie de Dunois, le Bâtard d’Orléans. Accueillie avec enthousiasme par les Orléanais, rejointe le 4 mai par le gros de l’armée de secours, elle joue un rôle décisif dans la délivrance de la ville, le 8 mai. La jeune héroïne est auréolée du double prestige de la victoire et du courage, et veut gagner immédiatement Reims. Mais les conseillers du dauphin lui demandent de réduire les places encore tenues par les Anglais autour d’Orléans, et, Jeanne prend la direction de l’armée dont le commandement officiel est confié au duc d’Alençon. À sa tête, elle s’empare de Jargeau, où William de la Pole, duc de Suffolk, est fait prisonnier le 12 juin, emporte le pont de Meung le 15, occupe Beaugency le 17, écrase enfin le 18 l’armée anglaise de John Fastolf à Patay, où John Talbot est fait prisonnier. Assurée de l’appui enthousiaste de tous ceux qui croient au caractère miraculeux de ses victoires, Jeanne contraint le Conseil royal à accepter les risques d’une expédition vers Reims. La chevauchée du sacre, partie de Gien le 29 juin, se transforme rapidement en une simple promenade militaire : Troyes capitule le 10 juillet, Châlons-sur-Marne le 14, Reims le 16. Le 17, le sacre fait du « gentil dauphin » le légitime roi de France.

L’acte décisif dès lors est accompli, et le duc de Bedford a beau faire sacrer deux ans plus tard à Paris le jeune Henri VI d’Angleterre, le 16 décembre 1431, il ne peut plus compter sur la fidélité des Français. L’ingratitude de Charles VII à l’égard de Jeanne, la pusillanimité des conseillers royaux, qui ne songent qu’à traiter avec le duc de Bourgogne, Philippe le Bon, lui laissent pourtant le temps de renforcer la garnison de la capitale. Aussi, l’assaut tenté par l’ouest, le 8 septembre 1429, échoue-t-il malgré la vaillance de Jeanne, qui est blessée à la cuisse d’une flèche devant la porte Saint-Honoré et qui ne peut obtenir d’un roi irrésolu mais satisfait l’autorisation de mener une nouvelle attaque contre une ville où pourtant la panique règne. Il est vrai qu’aux termes de la trêve conclue à Compiègne le 28 août Philippe le Bon a promis de livrer Paris aux Français ! Préoccupés de mettre fin à la guerre civile qui oppose les Armagnacs aux Bourguignons, incapables de comprendre que l’intervention de Jeanne a renversé le rapport des forces, le roi et son Conseil renoncent à parachever leurs victoires.

Jeanne doit suivre dans sa retraite l’armée royale, qui est dissoute à Gien les 21 et 22 septembre 1429. Mais elle s’obstine à poursuivre l’exécution de sa mission jusqu’à son total achèvement.

Pourtant, son ardeur se gaspille en opérations secondaires. Après un succès initial marqué par la prise d’assaut de Saint-Pierre-le-Moûtier en novembre 1429, elle échoue, en décembre, faute de moyens sans doute, devant La Charité-sur-Loire. Cet échec affaiblit le prestige de Jeanne, que l’on remercie alors des services passés en lui octroyant le 24 décembre 1429 des lettres d’anoblissement.

Dès lors, sa mission paraît accomplie. Autorisée à apporter son concours à des capitaines de garnisons fidèles, mais vivant sur le pays, elle participe en avril 1430 à des coups de main à Melun, à Lagny, à Senlis, mais ne peut empêcher la reddition de Soissons. Elle essaie enfin de sauver Compiègne, que son capitaine, Guillaume de Flavy, refuse de remettre au duc de Bourgogne, malgré la trêve du 28 août 1429, et se jette dans la ville le 23 mai 1430 avec 300 ou 400 hommes. À leur tête, elle tente le soir même une sortie qui bouscule les Bourguignons, mais, victime de la panique que sème l’arrivée de renforts anglais, Jeanne est faite prisonnière vers 6 heures par un archer picard au service d’un chevalier bourguignon, le bâtard de Wandonne, qui la livre aussitôt à Jean de Luxembourg. Ultime, mais non pas inutile, le sacrifice de Jeanne sauve la ville, dont Philippe le Bon doit lever le siège le 25 octobre suivant.


La Passion

Jeanne est emprisonnée au château de Beaulieu-en-Vermandois, puis dans celui de Beaurevoir, près de Cambrai. L’université de Paris — qui prétend la faire juger comme sorcière à l’instigation sans doute du gouvernement anglais — la réclame dès le 26 mai 1430. Désireux, en effet, d’obtenir la condamnation de Jeanne sur ce chef d’accusation afin d’annuler l’effet mystique du sacre de Charles VII, Bedford verse 10 000 écus à Jean de Luxembourg afin que Jeanne lui soit remise pour être livrée à un tribunal d’Inquisition. L’héroïne est enfermée en décembre 1430 pieds et mains liés dans la grande tour du château de Rouen, où elle est placée illégalement sous la garde du gouverneur de la ville, Richard de Beauchamp, comte de Warwick. Décision illégale, en effet, car, déférée à un tribunal d’Inquisition, Jeanne aurait dû être enfermée dans une prison ecclésiastique. Pour présider ce tribunal, Bedford choisit naturellement un homme de confiance : Pierre Cauchon. Partisan des Bourguignons dès 1413, soutien déterminé des Anglais depuis 1420, membre réputé de l’université de Paris, l’homme a l’avantage d’être l’évêque du diocèse de Beauvais, sur le territoire duquel Jeanne a été capturée à Compiègne. Aussi peut-il se déclarer compétent pour juger l’héroïne et, puisque les Français l’ont chassé de sa ville, il obtient par dérogation, en 1429, le droit de transférer le siège de son tribunal à Rouen. Pour composer ce dernier, il fait appel au vice-inquisiteur de France, Jean Lemaître, très réticent, au promoteur Jean d’Estivet, chargé de soutenir l’accusation, à deux notaires, Guillaume Manchon et Guillaume Colles dit Bois-Guillaume, chargés de rédiger des procès-verbaux juridiquement inattaquables, enfin à une soixantaine de conseillers et assesseurs choisis parmi les clercs, ses amis de longue date et dont deux seulement sont de nationalité anglaise. Jeanne est privée d’avocat pendant toute la durée de l’instruction, qui se déroule à huis clos du 9 janvier au 26 mars 1431, sous la direction de Jean Beau-père jusqu’au 10 mars, puis de Jean de La Fontaine jusqu’au 26 ; elle répond pourtant aux questions perfides qui lui sont posées avec un bon sens et un esprit critique étonnants. Affirmant avec force la réalité de ses voix, refusant de révéler la nature du signe donné par elle à Charles VII, rappelant que pour faire la guerre, comme pour se protéger des violences de ses geôliers, les habits d’homme constituent son unique protection, Jeanne affirme de manière irréfutable son appartenance à l’Église militante. À la question : « Êtes-vous en état de grâce ? », elle répond par cette repartie célèbre dont nul ne peut mettre en doute la parfaite orthodoxie et l’humilité totale : « Si je n’y suis, Dieu m’y mette, et si j’y suis, Dieu m’y garde. »