Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Jamaïque (suite)

• La bauxite. On extrait près de 12 Mt de bauxite des gisements du plateau karstique. Commencée en 1952, la production n’a cessé de se développer. Elle est aux mains de quatre sociétés (étrangères) : Alcan Aluminium Limited, Aluminium Company of America (Alcoa), Kaiser Aluminium and Chemical Corporation et Reynolds Metals Company. Afin de valoriser sur place le minerai, le gouvernement incite les sociétés à le transformer en alumine avant qu’il ne soit exporté aux États-Unis et au Canada pour être raffiné, car la Jamaïque manque malheureusement des sources d’énergie abondantes et à bon marché nécessaires à cette opération. Il est toutefois prévu que l’on produise 3 Mt d’alumine vers 1975. Le minerai brut et l’alumine forment la moitié de la valeur totale des exportations, et ils rapportent de précieuses devises fortes.

La Jamaïque possède aussi un important gisement de gypse (350 000 t) et des matières premières pour la verrerie, la fabrication du ciment, la construction, etc.

• Les industries. Leur développement s’appuie sur une main-d’œuvre abondante et à bon marché, sur une législation fiscale très avantageuse et sur des organismes publics (tels que la Jamaica Industrial Development Corporation) qui l’organisent, l’incitent et parfois servent de maîtres d’œuvre. Des zones industrielles ont été aménagées pour accueillir les entreprises. D’abord créées pour satisfaire les besoins du marché intérieur, les industries travaillent de plus en plus pour l’exportation sur le marché nord-américain. Elles doivent aussi contribuer à la résorption du chômage. La production d’énergie électrique a été activement poussée pour alimenter les industries, mais elle reste insuffisante (1,3 TWh). Une raffinerie de pétrole (1 Mt), une cimenterie (300 000 t), quelques ateliers de travail des métaux, une verrerie, des usines chimiques forment des bases disparates de l’industrie lourde. La gamme des industries de consommation est, par contre, très diversifiée : produits alimentaires, grand nombre de denrées et d’objets à usage domestique (cosmétiques, parfums, savons et autres produits de toilette), montage (matériel électrique et électronique, moteurs), travail des matières plastiques, pneumatiques, textiles et habillement (qui prennent une grande importance à cause de l’abondante main-d’œuvre qu’ils emploient et de leurs exportations), etc. L’ensemble de ces industries participe pour plus de 10 p. 100 de la valeur totale des exportations. Elles représentent l’espoir de la Jamaïque d’accéder à un niveau de développement satisfaisant.

• Le tourisme. En 1970, la Jamaïque a reçu près de 400 000 touristes, dont 281 000 ont été considérés comme des visiteurs de longue durée. L’équipement, concentré sur la côte nord, comprend près de 11 000 lits. Montego Bay, avec son aéroport accessible aux « jets », prend rang parmi les grandes stations internationales. Kingston s’équipe et s’efforce aussi de devenir une grande capitale touristique grâce à l’aéroport international de Palisadoes. 80 p. 100 des visiteurs sont des Américains, et 8 p. 100 des Canadiens. Les revenus du tourisme permettent d’éponger la plus grande partie du déficit du commerce extérieur, dont le taux de couverture n’est guère que de 60 p. 100. Le tourisme a modifié les conditions de vie et les paysages de certaines régions de la côte nord de l’île, et cette évolution n’est pas achevée.

Dans sa lutte contre le sous-développement, la Jamaïque a remporté des succès importants dans le domaine économique et se trouve actuellement dans une phase transitoire. Par contre, sauf en ce qui concerne l’éducation et la santé, les progrès sont moins notables au plan social. Il reste encore à mieux répartir le revenu national pour réaliser un développement plus harmonieux.

J.-C. G.


L’histoire


Les débuts de la colonie

Au sud de Cuba, à l’ouest d’Haïti, la grande île antillaise rassemble toutes les contradictions et les difficultés du monde caraïbe. Cent cinquante ans de présence (faut-il dire d’absence ?) espagnole n’avaient eu d’autre résultat que la disparition des Indiens Arawaks ; les Anglais, après avoir vainement essayé de s’emparer de Saint-Domingue, conquirent l’île en 1655 et y trouvèrent 1 500 Espagnols, accompagnés d’autant d’esclaves noirs. Le grand projet de Cromwell*, qui rêvait de faire main basse sur l’Empire hispanique, n’alla pas plus loin : il ne fut pas facile de venir à bout des guérillas espagnoles et noires.

La politique anglaise échoua, qui visait à faire de la Jamaïque une colonie de peuplement : entre 1655 et 1661, on compta 12 000 arrivées et 8 500 départs. On a invoqué à juste titre le climat, les fièvres, les boucaniers, les conflits entre Londres et les colons, les raids français à la fin du xviie s., le terrible tremblement de terre de 1692, la turbulence des esclaves. Tout cela est vrai, mais la cause profonde est à chercher dans le triomphe de la plantation de canne à sucre, utilisant la main-d’œuvre servile ; le petit colon ne pouvait pas résister à la concurrence du planteur, et cela explique qu’il y ait eu en 1700 à peine 2 000 Blancs et déjà 20 000 Noirs.


La plantation

Tandis que l’île devenait un temps la rivale de Saint-Domingue et un des principaux producteurs de sucre, les structures achevaient de se mettre en place. Après les guerres du xviie s., les tentatives de vaine reconquête espagnole, les expéditions de la flotte française, la Jamaïque bénéficiait du traité d’Utrecht (1713) et de sa position stratégique, au milieu des Caraïbes. L’Espagne abandonnait à l’Angleterre l’asiento, c’est-à-dire le droit d’importer des esclaves africains dans les colonies espagnoles.

La Jamaïque devint alors, pour près d’un siècle, le centre de distribution du « bois d’ébène », tandis que ses plantations, toujours plus actives, employaient 45 000 esclaves en 1703, 130 000 en 1750 et 300 000 en 1800, dont les deux tiers provenaient du Ghāna et de l’actuel Nigeria. Le contraste était grand entre les riches planteurs absentéistes qui vivaient en Angleterre, une fois leur fortune faite, et leurs esclaves. Le puissant groupe de pression des Indes occidentales (West India Lobby) obtint pour l’île, c’est-à-dire pour les planteurs, l’autonomie interne.