Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

Certains Mongols s’étaient convertis au bouddhisme, voire au christianisme, et, au début, ils favorisèrent parfois leurs sujets non musulmans, mais, surtout à partir du règne de Rhāzān Maḥmūd, ils se convertirent massivement à l’islām. L’Ilkhān Uldjāytū (Öldjeytü, de 1304 à 1316) devint même chī‘ite et songea à transporter les corps des martyrs de Karbalā’ (imām Ḥusayn et ses compagnons) à Soltāniyè, sa capitale.

L’opposition initiale des Mongols à l’islām favorisa les relations diplomatiques avec l’Europe. Un acte tel que la prise de Bagdad en 1258 par Hūlāgū et la déposition du dernier calife ‘abbāsside ne pouvait être accueilli que favorablement par les Occidentaux, alors en difficulté avec les Mamelouks d’Égypte. Cette politique fut poursuivie pendant un certain temps (lettre d’Uldjāytū à Philippe le Bel datée de 1305), mais elle n’aboutit à rien de positif.

Le dernier Ilkhān, Abū Sa‘īd Tīmūr (de 1316 à 1335), mourut sans laisser d’héritier direct ; l’Iran sombra de nouveau dans le chaos. Parmi les États qui se formèrent sur les débris de son empire, le plus original fut celui des Sarbedārs (« têtes pendues aux gibets »). On dit que ce nom leur fut donné parce qu’ils déclarèrent, en se soulevant, qu’il valait mieux se faire pendre plutôt que de supporter plus longtemps la tyrannie. Ces révoltés étaient des Iraniens originaires du Khorāsān occidental : ils combattirent les nomades mongols et les princes sunnites Karts de Harāt. Le plus connu de leurs chefs fut Wadjīh al-Dīn Mas‘ūd (de 1338 à 1342). Ce mouvement socio-révolutionnaire avait aussi une origine religieuse fondée sur le chī‘isme des derviches.

Le dernier chef sarbedār, ‘Alī Mu’ayyad, se soumit en 1378 à Tīmūr* Lang (Tamerlan), qui, revendiquant l’empire de Gengis khān, tentait de le reconstituer. Ce conquérant sanguinaire ravagea par trois fois l’Iran : il détruisit les systèmes d’irrigation du Sistān, changeant cette province en désert. Il mourut en 1405, alors qu’il se préparait à la conquête de la Chine.

La plupart de ses successeurs furent des princes éclairés qui s’employèrent à réparer les dégâts qu’il avait causés. Ce fut en particulier le cas de son fils Chāh Rokh (ou Rukh) Mīrzā (de 1405 à 1447) et de son épouse Gohar Chādh ou Djowhar Chādh ainsi que d’Abu al-Qāsim Mīrzā Bāber (de 1447 à 1457). D’autres Timurides se distinguèrent aussi : Bāysonrhor fut un grand peintre et un calligraphe de talent ; Uluğ Beg se distingua en astronomie, et le sultan Ḥusayn Bāyqarā, aidé de son ministre Mīr ‘Alī Chīr Navā’ī, exerça un mécénat très actif à Harāt. L’époque timuride prit fin en fait avec le règne de ce prince. Ses descendants furent balayés en 1507 par une nouvelle vague d’envahisseurs turcs : les Ouzbeks.


L’arrivée au pouvoir des Séfévides et la constitution de l’Iran moderne

Dès la mort de Tīmūr Lang en 1405, et au fur et à mesure que la puissance timuride s’affaiblissait, les tribus turkmènes de l’Azerbaïdjan et de l’Anatolie s’affranchissaient de leur joug et, dès la première moitié du xve s., elles fondaient la Confédération des Karakoyunlu (« Mouton Noir »).

Cet État s’écroula en 1468 sous les coups portés par Uzun Ḥasan, chef de la Confédération des Akkoyunlu (« Mouton Blanc »). Après la mort d’Uzun Ḥasan (1478), un mouvement religieux amorcé bien avant cette date devint de plus en plus puissant. Ses chefs spirituels, appelés « Séfévides », du nom de leur ancêtre le cheikh Ṣafī al-Dīn (1252 ou 1253-1334), étaient probablement d’origine kurde, mais ils se prétendaient seyyed, c’est-à-dire descendants de Mahomet et des imāms. Il est maintenant établi qu’au début ils étaient sunnites et qu’ils ne se convertirent au chī‘isme extrémiste qu’au cours du xve s.

À partir d’Ardabil, ville d’Azerbaïdjan où était enterré l’ancêtre, ces cheikhs se livrèrent à une propagande intense parmi les frustes pasteurs de l’Anatolie superficiellement islamisés. Leur influence devint si grande qu’elle inquiéta la puissance ottomane sunnite. Craignant sa réaction, ces Turkmènes retournèrent en Azerbaïdjan, qui se turquisa progressivement à partir du xve s., à tel point que l’on y parla le turc azéri.

S’appuyant sur ses tribus — dont sept formèrent les Kızıl Bach, ou « Têtes rouges », parce qu’ils portaient un bonnet rouge à douze plis, symbole des douze imāms chī‘ites —, Ismā‘īl (1487-1524) se révolta contre les Akkoyunlu et les élimina ; il se proclama roi en 1502 et parvint en 1510 à conquérir presque tout l’Iran.

L’unification qui s’amorça alors est extrêmement importante, car Chāh Ismā‘īl rendit obligatoire, dans ses États, la profession du chī‘isme. Or, quoique certaines régions comme de Māzandarān se fussent converties bien avant son avènement, il n’en restait pas moins vrai que la majorité des Iraniens était alors sunnite. Cependant, la population épousa si fermement la cause chī‘ite que le règne des rois sunnites afghans et afchars ne put l’ébranler dans sa conviction. Tous les Iraniens n’abandonnèrent pas aussi facilement les croyances ancestrales : de nombreux intellectuels sunnites prirent le chemin de l’Inde, terre de tolérance et asile religieux, où ils travaillèrent à l’éclosion de la civilisation indo-iranienne des Moghols*. Alors qu’ils contribuaient à l’élaboration de la langue urdû et à la création de l’« école indienne » de la littérature persane, en Iran même on ne voyait rien de tel : la décadence avait déjà commencé.

Une autre conséquence du choix chī‘ite fut l’isolement de la Perse au sein du monde islamique, qui restait sunnite. Ce particularisme concourut ainsi à empêcher l’absorption de l’Iran par l’Empire ottoman, alors au sommet de sa puissance. Inversement, il le rapprocha des Occidentaux, souvent en guerre contre les Turcs. On croyait même alors en Europe que Chāh Ismā‘īl était chrétien... Cependant, les essais d’alliance avec l’Occident, en particulier sous le règne d’‘Abbās Ier le Grand (de 1587 à 1629), n’aboutirent pas. La raison en est la distance qui sépare l’Iran des pays occidentaux. C’est sous ce règne que la dynastie atteignit son apogée. Sa capitale, Ispahan*, ainsi que les principales villes de l’empire se couvrirent de monuments ; de nouveaux caravansérails jalonnèrent les vieilles routes, et de nouveaux chemins furent construits. Le souverain entreprit également une réforme intérieure : pour contrebalancer le pouvoir des Kızıl Bach, il s’appuya sur une infanterie équipée d’armes à feu et nomma des gouverneurs d’origine chrétienne (en particulier géorgienne), élevés et recrutés suivant un système inspiré de celui des janissaires ottomans. C’est grâce à de tels hommes que le roi put, avec l’aide de la marine de la Compagnie anglaise des Indes orientales, mettre fin à la domination portugaise sur l’île d’Ormuz, située dans le golfe Persique. Cet établissement portugais, qui datait de 1515, constituait la première tentative d’une puissance européenne pour coloniser une partie de l’Iran. En matière de commerce extérieur, Chāh ‘Abbās s’appuya essentiellement sur les marchands arméniens.

Les descendants de ce souverain n’eurent pas sa valeur, et la Perse s’affaiblit. Le dernier Séfévide, Chāh Ḥusayn (de 1694 à 1722), se distingua par sa médiocrité. Une révolte de ses sujets afghans mit fin à son règne, et c’est lui-même qui, en 1722, proclama leur chef Maḥmūd roi.