Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Iran (suite)

Sous Malik Chāh (de 1073 à 1092), la Perse atteignit son apogée ; ses frontières s’étendirent de l’Asie centrale à la Syrie et de l’Arménie à la mer d’Oman. L’administration d’un tel empire, qui dépassait les capacités de ces nomades guerriers, fut exercée par des Iraniens, dont l’illustre Niẓām al-Mulk (1018-1092), vizir d’Alp Arslan et de Malik Chāh. Mécène et lui-même écrivain, il renforça la position du sunnisme dans l’empire et construisit de nombreuses universités (madrasa), dont les plus importantes furent les Niẓāmiyya de Nichāpur, Bagdad, Ispahan et Merv. Dans ces écoles professaient des érudits comme al-Rhazālī de Tus, l’un des penseurs les plus originaux de l’islām. C’est également à cette époque que vécut le poète et mathématicien ‘Umar Khayyām*.

Culturellement, les Seldjoukides, pas plus que les Rhaznévides ou les autres Turco-Mongols, n’essayèrent de turquiser l’Iran. Contrairement à ce qui se passa en Asie Mineure, ce furent les envahisseurs qui s’iranisèrent et qui se posèrent en défenseurs de la civilisation autochtone. Ils véhiculèrent par la suite cette culture dans l’Empire ottoman et surtout dans l’Inde des Moghols, où le persan devint la langue officielle. Il est cependant incontestable que l’établissement des Turcs en Iran laissa des traces qui sont visibles jusque dans la langue et la structure sociale persanes ; mais, dans l’état actuel de nos connaissances, il est difficile d’évaluer leur importance.

Les Seldjosukides avaient établi dans leurs possessions un système de fief militaire héréditaire (iqṭā‘) afin de disposer d’une armée commandée par des chefs dignes de confiance. Cette pratique provoqua le relâchement du pouvoir central, qui passa avec le temps entre les mains d’un certain nombre de gouverneurs militaires indépendants connus sous le nom d’atabeks. Les plus réputés d’entre eux furent en Iran ceux de l’Azerbaïdjan (à partir de 1146) et du Fārs (à partir de 1148).

Le règne mouvementé de Sandjar, le dernier grand prince seldjoukide (1086-1157, sultan de 1118 à 1157), ne changea pas cette situation, sauf dans le Khorāsān. Un autre facteur précipita la ruine de l’État : l’action des ismaéliens de Ḥasan-e Ṣabbāḥ et de ses successeurs, qui supportaient mal l’intolérance sunnite et la domination des guerriers turcs. Connus en Occident sous le nom d’Assassins (ḥachīchiyyīn), les Fidā’iyyūn, ou Fadā’i (« ceux qui se sacrifient »), s’imposaient par la terreur, à partir de leurs forteresses inaccessibles d’Alamut (le nid d’Aigle, conquis par ruse en 1090), de Gerd Kuh, etc. Il fallut la puissance mongole pour les éliminer.

Le morcellement de la Perse facilita l’avènement de la nouvelle dynastie, d’origine turque, des Khārezmchāh. Les princes de cette lignée régnèrent au début au Khārezm, province située immédiatement au sud de la mer d’Aral. De là, ils parvinrent un instant à unifier l’Iran, et le sultan ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad essaya même, mais en vain, de conquérir Bagdad (1217-18). Plus tard, sa volonté de puissance attira sur la Perse la colère de Gengis khān, qui ne put tolérer l’assassinat des 450 marchands qu’il avait envoyés dans ce pays. L’exécution de son ambassadeur, venu en Iran demander justice au Khārezmchāh, mit le feu aux poudres, et, à partir de 1220, les hordes mongoles se lancèrent à la poursuite de ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad. Le sultan s’enfuit, et les envahisseurs mirent le pays à feu et à sang. Nichāpur, la cité la plus renommée du Khorāsān d’alors, fut totalement détruite. ‘Alā’ al-Dīn Muḥammad se réfugia finalement dans une île de la mer Caspienne et y mourut misérablement, abandonné de tous (1220).

Djalāl al-Dīn († 1231), son fils, brave mais peu habile, opposa aux conquérants une résistance parfois victorieuse ; mais, quoique Gengis khān se soit désintéressé de l’Iran après avoir assouvi sa vengeance, il ne put redresser la situation. Après la mort du grand conquérant en 1227, les chefs mongols décidèrent en 1229 de poursuivre ses conquêtes. Mais ce dessein ne fut réalisé dans sa partie iranienne que plus tard, par Hūlāgū (de 1256 à 1265), frère de l’empereur Möngke.

Les chefs mongols de l’Iran portèrent le titre d’Ilkhān (« chef subordonné ») parce que, au début, ils dépendaient de l’empereur mongol, qui résidait en Chine. Leur domination, qui dura jusqu’en 1335, eut de très graves conséquences sociales et économiques. En effet, anéantissant villes et villages, ils accélérèrent le processus de nomadisation déjà amorcé depuis l’arrivée des Turcs. Ils portèrent ainsi un coup mortel à l’agriculture. Bâtissant en quelques dizaines d’années un empire immense allant du Pacifique jusqu’aux portes de Berlin et n’ayant aucune compétence administrative, ils durent s’appuyer sur les populations vaincues et en particulier sur les Chinois et les Iraniens ; cette politique aida à la sauvegarde des civilisations, des pays soumis, mais elle contribua aussi à la déchéance morale et économique, puisque les vizirs des Ilkhāns n’avaient la vie sauve que s’ils pouvaient satisfaire les extravagances de leurs maîtres (un seul grand vizir mourut de mort naturelle). Ces vizirs étaient donc obligés d’écraser la population sous le poids des impôts. C’est pourquoi les paysans dont les biens n’avaient pas souffert lors de la conquête furent traqués impitoyablement par les agents du fisc. Les villageois, qui étaient en plus constamment en butte aux déprédations des nomades, désertaient leurs champs pour se réfugier dans les forêts ou dans les montagnes, créant ainsi des zones d’insécurité. Les réformes entreprises par un Ilkhān éclairé comme Rhāzān Maḥmūd (de 1295 à 1304) n’eurent pas de lendemain.

Culturellement, l’Iran et la Chine finirent par vaincre et assimiler les envahisseurs. Déjà sous Möngke (Mangū khān), de 1251 à 1258, l’administration de l’empire était assurée par l’Iranien Seyyed-e Adjal. Plus tard, on vit des grands personnages tels que Nāṣir al-Dīn al-Tusi et Rachīd al-Dīn Faḍl Allāh diriger le royaume des Ilkhāns.