Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Internationales (les) (suite)

Parmi les membres du comité, singulièrement hétérogène, certains ne songent qu’à recommencer les insurrections de 1848, en leur assurant un meilleur succès, soit dans le sens libéral, soit dans le sens national, ou encore dans les deux sens à la fois. Les trade-unionistes, eux, veulent mettre sur pied un organisme international capable, en cas de grève en Grande-Bretagne, d’empêcher des briseurs de grève d’affluer du continent. Les proudhoniens français croient à un prochain dépérissement de l’État ; ils s’intéressent surtout aux institutions ouvrières — syndicats, coopératives et mutuelles — qui peuvent le remplacer. Marx est fort éloigné des idées proudhoniennes.

Il faut élaborer un texte. Les mazziniens en ont préparé un ; Marx le fait écarter, ainsi qu’un texte de V. Le Lubez ; il fait adopter le sien en consentant des concessions de forme.

Ce qu’on a pris l’habitude d’appeler le « Pacte inaugural » ou l’« Adresse » de l’Internationale est, en réalité, le préambule des statuts, que précède une analyse de la situation. Selon ce texte, le monde est caractérisé par l’opposition entre l’opulence des uns et la misère des autres. Sur le continent, les forces contre-révolutionnaires l’emportent. « L’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. » Ils ne chercheront pas à obtenir, pour eux, des privilèges, mais à supprimer toute domination de classe. La cause de la servitude ouvrière, qu’elle soit économique, sociale ou politique, réside dans la sujétion des travailleurs à ceux qui possèdent les instruments de production. C’est pourquoi « l’émancipation économique des travailleurs [...] est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ». Si les efforts tentés en ce sens ont échoué, poursuit le texte, c’est par manque de solidarité entre ouvriers des divers pays. L’Association internationale des travailleurs, groupant aussi bien des formations politiques que des syndicats, doit assurer cette solidarité, dans l’information comme dans l’action. On prévoit une fédération par nation, une section par ville et chaque année un congrès international qui élira un Conseil général.

Pendant trois années, la vie de l’Association internationale se révèle difficile. Le London Trade Council refuse de s’affilier ; c’est donc surtout sur le continent que l’Internationale va s’implanter. En France, une section parisienne se constitue en janvier 1865. Elle passe de 200 adhérents en 1865 à 600 en 1866. D’autres sections se créent à Lyon, Rouen, Marseille. En Suisse, les progrès sont un peu plus rapides. La Belgique n’a alors qu’une section vivante, à Bruxelles. L’Italie et l’Espagne ne réagissent guère, pas plus que l’Allemagne et les États-Unis.

L’essor de l’Internationale est, dans cette période, paralysé par les heurts idéologiques entre proudhoniens et marxistes. Au congrès de Genève (3-8 sept. 1866), la délégation française proudhonienne préconise le mutuellisme et combat le recours à la révolution et même à la grève. Les idées proudhoniennes l’emportent encore au congrès de Lausanne (2-8 sept. 1867).

Mais l’idée de l’Internationale pénètre peu à peu les masses ouvrières des pays industrialisés et pousse l’extension des grèves en France, en Suisse, en Belgique. C’est en Belgique que le progrès de l’Internationale est le plus marqué de 1867 à 1870. En France, où le syndicalisme a commencé à se développer, les animateurs des grèves, tel E. Varlin, sont des « internationalistes ». Des sections se créent en Espagne, en Italie, en Allemagne, où les idées lassalliennes reculent.

Proudhon mort, le proudhonisme se dilue peu à peu. Au congrès de Bruxelles (6-13 sept. 1868), les délégués se prononcent en faveur du recours à la grève et de l’appropriation collective du sol, des mines, des carrières, des forêts, des moyens de transport ; ils préconisent la grève générale face à la guerre. Le congrès de Bâle (5-12 sept. 1869) proclame que « la société a le droit d’abolir la propriété individuelle du sol » et de le remettre à la communauté. Il invite les travailleurs à « s’employer activement à créer des sociétés de résistance dans les différents corps de métier ».

Mais, dans les années qui suivent, Marx se retrouve en présence d’une ardente opposition menée par l’anarchiste Bakounine*, fondateur de l’Alliance internationale de la démocratie socialiste, qui ne croit ni à la possibilité d’une utilisation révolutionnaire de l’État ni à la nécessité d’une action centralisée.

Après la guerre franco-allemande de 1870-71, l’écrasement de la Commune* et la répression versaillaise détruisent la section française. Des mesures sont également prises contre les internationalistes — dont le rôle et le nombre sont surestimés par les gouvernants — en Espagne, en Autriche-Hongrie, en Allemagne, au Danemark. Jules Favre va jusqu’à souhaiter contre l’Association une action internationale concertée entre les gouvernements. Mais le gouvernement anglais s’y refuse. Entre marxistes et bakouninistes, les dissensions s’aggravent. À la conférence de Londres (17-22 sept. 1871), Marx l’a emporté. Au congrès de La Haye (2-7 sept. 1872), les marxistes, majoritaires, prononcent l’exclusion de Bakounine (qui l’emporte en Espagne, Italie, en Suisse romande) et décident de transférer le Conseil général à New York. Le 15 juillet 1876, la conférence de Philadelphie décide finalement la dissolution du Conseil général.

Exclus, les bakouninistes essaient de continuer l’Internationale en Europe. Un congrès réuni à Genève (1er-6 sept. 1873) a voté l’abolition du Conseil général et adopté de nouveaux statuts respectant l’autonomie des sections. La grève générale est désormais considérée comme le moyen d’émanciper le prolétariat. Des congrès se tiennent à Bruxelles (1874), à Berne (1876), à Gand (1877), où les sociaux-démocrates encore présents font scission. Finalement, cette association entre à son tour en décadence. Bakounine mort (1876), elle tient son dernier congrès à Verviers (6-8 sept. 1877).