Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Bāṇa, poète de cour de l’empereur Harṣa, dernier grand monarque hindou avant les invasions musulmanes, raconte avec virtuosité l’Histoire de Harṣa (Harṣacaritam). Ce récit abonde en descriptions de scènes de la vie de cour, de cérémonies, d’expéditions militaires et même de scènes villageoises ou forestières. La langue en est compliquée à force de recherche et de sous-entendus. Un autre récit de Bāṇa, Kādambari, fort prisé en Inde, raconte à rebours les aventures merveilleuses de l’héroïne de ce nom. La tendresse paisible qui se dégage de cette œuvre et les descriptions détaillées de villes et de personnages en rendent la lecture agréable.

Le Pañcatantra est le recueil le plus ancien de contes indiens d’inspiration populaire. Ces contes et fables, probablement transmis pendant de longs siècles par la tradition orale, ont été fixés à une date qu’il est impossible de préciser, car les recensions primitives ne nous sont pas parvenues. On ne connaît ce texte que par des traductions et des interprétations provenant de diverses régions de l’Inde. Il est en prose coupée de strophes, et les cinq livres dont il se compose traitent de thèmes politiques se rattachant ainsi à la littérature du dharma, nettement didactique. Ce texte a été largement diffusé à travers le monde, et il en existe plus de cent traductions. Son influence est évidente sur plusieurs de nos œuvres du Moyen Âge, tels les fabliaux, sur les Contes de Grimm et sur les Fables de La Fontaine.

La littérature technique atteint à cette époque son plein développement dans des domaines aussi divers que la grammaire, les mathématiques, l’astronomie, l’astrologie et la médecine.


La littérature en prākrit

Les formes de la langue ont été répertoriées dans la grammaire de Vararuci (500 env.), le Prākritaprakaśa. La littérature s’enrichit d’une poésie narrative dans le style recherché des kāvya sanskrits. Le Gaüdavaha de Vākpatirāja (viiie s.) en est un exemple, ainsi que l’œuvre poétique et dramatique de Rājaśekhara (900 env.).


La littérature tamoule

Les langues dravidiennes, d’origine encore obscure, parlées dans le Deccan et la partie sud de la péninsule indienne, se divisent en quatre groupes principaux : tamoul, malayālam, kannara, telugu.

Dès l’époque classique et peut-être même dès avant l’ère chrétienne, une littérature tamoule de tendance profane fait son apparition parallèlement au courant de littérature religieuse en sanskrit venu du nord. Elle se caractérise par la prédominance de l’élément romantique, des sentiments courtois et chevaleresques, et une certaine sensualité, en harmonie avec la vie dans cette région de l’Inde. La création d’une académie littéraire nommée Sangam favorise l’éclosion d’une production poétique considérable, qui témoigne de conditions sociales et artistiques particulièrement favorables.

Le Tolkāppiyam (ve s. env.) est le plus ancien texte retrouvé et atteste l’existence antérieure d’œuvres malheureusement perdues.

Les Dix Idylles forment un recueil de poèmes descriptifs où apparaissent la luxuriante nature du sud de l’Inde ainsi que des dieux et des mœurs purement autochtones.

Les Edduttogai groupent un nombre considérable de strophes attribuées à de nombreux poètes.

Le Kural, « morceau bref » de Tiruvalluvar, est un poème didactique renommé. La perfection de sa forme le met au rang des plus grandes œuvres indiennes, et la pertinence de ses épigrammes sur la vertu, les biens matériels et l’amour lui donnent une portée humaine.

L’époque du moyen tamoul (à partir du viie s. env.) voit peu à peu s’estomper, puis disparaître l’influence bouddhiste et jaina. Un brahmanisme sectaire, śivaïte, puis viṣṇuite se propage avec une exubérance et une vitalité étonnantes sous l’impulsion de personnalités religieuses inspirées d’une ardeur mystique. Appar est le premier de ces poètes śivaïtes, suivi de Sundarar. Leurs œuvres sont réunies en un recueil, le Cevāram (le Collier divin), texte de base du śivaïsme méridional. Un autre poète de grand mérite, Mānikkavāsagar, compose des odes encore chantées aujourd’hui dans les temples et qui seront traduites par des savants européens. Elles expriment une conception de tendance monothéiste et mettent l’accent sur le côté affectif de la recherche du divin et sur le don de la grâce divine. Parallèlement, le mouvement viṣṇuite, déjà amorcé après le Sangam, s’amplifie jusqu’au xe s. et s’exprime dans les hymnes des douze poètes : les Ālvār (recueil du Nālāyiram). Nammālvār, sans doute le plus célèbre de ces sages viṣṇuites, est l’auteur des quatre textes groupés sous le nom de Prabandham. On retrouve chez lui, transposées sur le plan mystique, les qualités de la meilleure poésie classique, non sans ressemblance avec celle de Kālidāsa. Periyālvār (le grand Ālvār), adorateur de Kriṣṇa, qu’il chante dans le Tirumali, vécut vers le milieu du ixe s. Cette nouvelle tendance du viṣṇuisme, donnant une importance primordiale aux avatars de Viṣṇu et à la dévotion passionnée, est intéressante, car elle devait se propager dans toute l’Inde du Moyen Âge et rénover l’hindouisme.


Le Moyen Âge


xe-xve siècle

Le début de cette longue période voit s’élaborer les grands courants religieux, historiques et linguistiques qui aboutissent à l’efflorescence des belles œuvres littéraires des xive, xve et xvie s. Les épopées sanskrites, et plus encore les Purāṇa, avaient contribué à diriger l’hindouisme vers des chemins qui s’éloignent peu à peu de l’esprit spéculatif et ritualiste des Veda pour tendre vers une religion beaucoup plus populaire. Les éléments autochtones des civilisations préaryennes s’y mêlaient de plus en plus intimement, transformant et la mythologie et l’esprit. Le bouddhisme a peu à peu disparu de l’Inde, non sans avoir, dans une certaine mesure, pénétré l’hindouisme. La fixation du Bhāgavata-Purāṇa s’effectue aux environs du xe s. et donne à Kriṣṇa, incarnation de Viṣṇu, une place prépondérante. La dévotion à cet aspect du Bienheureux sera l’aliment principal du feu mystique qui va enflammer l’Inde entière. Les Ālvārs du pays tamoul ont déjà largement enrichi le mysticisme viṣṇuite d’émotivité et de passion. Cette rencontre directe de Dieu par l’intuition de l’amour se nomme la bhakti, et ceux qui la pratiquent s’appellent les bhakta. Vedānta est le terme employé pour désigner la nouvelle orientation de la religion hindoue, dont l’un des premiers théoriciens avait été un brahmane du Kerala, Śankara, né dans le dernier quart du viiie s. Plutôt d’appartenance śivaïte, Śankara était cependant très tolérant, considérant Viṣṇu ou Śiva comme deux aspects d’une même réalité : l’Absolu inconditionné. Il prêchait la doctrine advaita, c’est-à-dire la non-dualité, l’identité du brahmaṇ (Dieu) et de l’ātman (le soi individuel). Sur un plan moins philosophique, les ācārya (sages) devaient jouer un rôle essentiel à partir du xe s. dans la propagation du viṣṇuisme. Au xie s. naquit Rāmānuja († 1137), dont le rôle fut important, car sa prédication, fondée sur les Upaniṣad et la Bhagavad-Gītā, préconisait la bhakti comme moyen de salut. Son influence s’étendit au Bengale et dans tout le nord de l’Inde.