Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Les invasions musulmanes et leur importance

Le Ier millénaire marque un tournant décisif dans l’histoire de l’Inde. Jusqu’alors plusieurs dynasties hindoues, plus ou moins puissantes, se sont partagé le territoire de façon mouvante, au hasard des guerres. Une opposition assez nette se marque déjà cependant entre les royaumes du Sud (à partir du Deccan) et ceux du Nord. Au xe s., le grand empire de Kanauj, qui, d’ouest en est, s’étend du Sind au Bengale, s’effrite en une multitude de petits États. L’unité qui, au viiie s., avait permis de résister aux invasions arabes, n’existe plus. Entre 1000 et 1300, les Turcs réussissent à s’installer dans le nord de l’Inde, tandis que deux dynasties hindoues, les Chālukya (ou Cālukya) et les Chola (ou Cola), se maintiennent encore dans le Sud. ‘Alā’ al-Dīn Khaldjī (1296-1315) parvient à conquérir presque la totalité du pays, mais les Turhluq, qui lui succèdent, ne sont pas capables d’imposer leur autorité. De nouveau, l’Inde se morcelle en plusieurs États, gouvernés soit par des musulmans (Deccan, Gujerat, Bengale), soit par les hindous (Sud, Mewār [Udaipur], Orissa). Les luttes internes permettent les invasions étrangères. La première moitié du xvie s. voit se fonder l’Empire moghol.

Les invasions musulmanes ont été pour l’Inde hindoue un véritable choc moral. Pour la première fois, cette immense communauté culturelle, caractérisée par une conception philosophique originale du monde, qui donne la primauté à la connaissance et s’organise autour d’un système religieux de type social structuré (système des castes), se trouve confrontée avec une civilisation d’idéologie égalitaire, où l’action prime le savoir, où le résultat concret est le premier but recherché. L’islām monothéiste convaincu et iconoclaste comprend mal l’apparent panthéisme hindou et une forme de culte qui ne lui paraît qu’idolâtrie. Les temples sont brûlés et pillés, les kāfir (infidèles) égorgés ou convertis de force, à tout le moins humiliés par des discriminations insupportables. Cependant, l’Inde se referme sur ses envahisseurs. Un lent processus d’assimilation s’ébauche durant les périodes les plus tolérantes de l’Empire moghol (Akbar, Djahāngīr, Chāh Djahān). Mais il restera toujours assez d’incompréhension, assez de fanatisme, assez de cupidité aussi chez une certaine classe pour que le fossé ne se comble jamais tout à fait.


Les Européens

C’est aussi l’époque où les premiers missionnaires européens s’installent en Inde. À Goa, les Jésuites s’implantent après la conquête de la région par les Portugais. Les premiers voyageurs venus d’Europe avec des missions commerciales se présentent à la cour du Grand Moghol, où ils sont, en général, fort bien reçus. Ainsi, les Hollandais, les Danois, les Français et les Anglais installent divers comptoirs, notamment dans les alentours des villes actuelles de Bombay, de Madras et de Calcutta.


L’évolution linguistique et religieuse

Les différents prākrits, sur lesquels la grammaire d’Hemacandra (1088-1172) apporte des renseignements intéressants, et leurs formes édulcorées (apabhraṃśa) se transforment peu à peu en langues vernaculaires correspondantes de type analytique. Le sanskrit continue d’être la langue des brahmanes et le véhicule de la pensée traditionnelle hindoue : aussi les musulmans ne sont-ils guère enclins à le soutenir, et très peu d’entre eux y ont accès. Ils encouragent donc l’usage des langues populaires, tandis que le persan devient la langue de cour. Puis, au fur et à mesure de l’intégration des groupes arabes, turcs, afghans et mongols, émerge peu à peu une langue commune fondée sur la forme de l’hindī parlée dans la région du Pendjab de l’Est, à Delhi et dans les royaumes musulmans du Deccan. Elle peut s’écrire en caractères persans ou, comme le sanskrit, en caractères nāgari (devanāgarī). On la désigne alors sous les noms d’hindustānī (terme employé par les Européens) ou d’hindī (terme persan). Comme il est fréquent en Inde, elle fait son entrée dans la littérature par la prédication religieuse. L’Inde de l’Ouest devient à cette époque le creuset où vont se mêler les tendances religieuses mystiques hindoues venues de l’Est et les tendances les moins sectaires de l’islām, représentées par le soufisme. Aux environs du xie s., un moine itinérant, Gorakhnātha, chef de la secte des nātha, répand sa prédiction dans tout le nord et l’ouest de l’Inde. Il était disciple d’un maître bouddhiste, Matsyendranāth, rénovateur d’une secte de yogi du Mahārāshtra, adeptes du Hātha-Yoga. Ils étaient de basse caste, et cette tendance d’une évolution religieuse échappant au système des castes, déjà prêchée par Rāmānuja, s’accentuera à travers toute cette période. Les prédicateurs soufis sont innombrables, et ce mysticisme musulman qu’est le soufisme indien paraît très proche de celui de la bhakti. D’autres réformateurs religieux, tels Rāmānanda, qui vivait à Bénarès (1400-1470 env.), et Vallabhācārya (1479-1531) à Mathurā, ont préparé plusieurs générations de poètes.


Le développement des littératures

La période troublée qui s’étend entre l’an 1000 et la première moitié du xive s. favorise assez peu la création littéraire. Cependant, plusieurs belles œuvres sont composées à cette époque dans les diverses langues. Les thèmes les plus courants restent ceux de la tradition sanskrite, les thèmes historiques et le mysticisme viṣṇuite cristallisé autour de l’incarnation du dieu Kriṣṇa.

• En sanskrit, Somadeva (xie s.) fixe dans une langue élégante et raffinée les contes du Kathāsaritsāgara, fondés sur une version Kāśmīrī de la Brihatkathā.

Kṣemendra (xie s.) est un auteur prolifique. Outre des résumés des grandes épopées, il a écrit un traité de rhétorique.

Bilhaṇa (xie s.) est l’auteur de cinquante strophes sur les souvenirs de l’amour et d’une biographie du roi Vikramāditya. Les grandes épopées commencent à être adaptées dans les langues dravidiennes comme le telugu et le kannara.

• En telugu, Nanniah (1022-1063) compose un Mahābhārata en prose, tandis que Nannecodu (xiie s.) adapte le Kumārasambhava de Kālidāsa.