Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Pendant les derniers siècles avant l’ère chrétienne, le sanskrit devient une langue plus purement littéraire, peu à peu réservée à une élite (brahmanes et classe dirigeante). Il est donc naturel que se soient développées parallèlement, à partir d’un sanskrit non classique, des langues populaires que l’on nomme prākrits (naturel). Les inscriptions d’Aśoka (v. 250-230 av. J.-C.) donnent des exemples de ces divers dialectes. Le Bouddha (vie s. av. J.-C.), né au Népal, et Mahāvīra, fondateur du jinisme, né à peu près à la même époque au Bihār, commencèrent leur prédication en utilisant les prākrits populaires, notamment l’ardha-māgadhī (de la province de Magadha) pour le jinisme. Le bouddhisme professait un abandon des distinctions de caste et s’adressait à une large audience. Des disciples s’exprimant dans toutes les langues se répandirent peu à peu dans l’Inde et à Ceylan. C’est là que les moines fixèrent le canon bouddhique en langue pālī (iie s. av. J.-C., env.). Il est constitué de trois ensembles de textes, les Trois Corbeilles, qui contiennent des règles monastiques (vinaya), la dogmatique (abhidharma) et la totalité de l’enseignement du Bouddha sous forme de discours et de dialogues (sutta-piṭāka). Il se compose de plusieurs collections, dont font partie le Dhammapada, qui décrit l’éthique du bouddhisme ancien, et le recueil des Jātaka (nativités), composé de contes édifiants se rapportant à la vie du Bouddha. Outre l’enseignement religieux, ces textes contiennent des renseignements intéressants sur la vie et la mentalité de l’époque. Citons aussi le Milinda-pañha, dialogue du roi grec Milinda (Ménandre) avec un moine bouddhiste, texte non canonique, dont seule la version pālī est restée.

Les œuvres profanes en moyen indien sont représentées par des pièces théâtrales comme le Karpūrmañjari, entièrement en prākrit, ou le récit de la Brihatkathā, écrit en paiśācï, autre variante de prākrit. Plus tardivement, certains textes jaina seront rédigés en apabhraṁśa, forme « dégradée » issue de ces prākrits.

Le poète bouddhiste Aśvaghoṣa est l’auteur de pièces de théâtre, notamment le Śāriputraprakaraṇa, en neuf actes. Celui-ci est écrit en sanskrit, mais on y trouve des passages dans les trois formes principales de prākrit : māgadhi, ardha-māgadhi et śaurasēni.


L’époque classique

Historiquement, la grande période classique des littératures indiennes commence avec le renouveau brahmanique que patronne la dynastie Gupta (fondée v. 320 apr. J.-C.).

Les Purāṇa, ou « récits anciens », au nombre de dix-huit, déjà très répandus, tant sous leurs formes hindouistes que sous leurs formes bouddhistes, se fixent peu à peu en sanskrit. Dédiés à tel ou tel aspect de la divinité, ils se divisent en trois groupes, selon que leur centre d’intérêt est Brahmaṇ, Viṣṇu ou Śiva. Les tendances sectaires sont plus différenciées et s’amplifient au fur et à mesure de leur composition, qui se prolonge jusqu’au Moyen Âge. En effet, le plus populaire d’entre eux, le Bhāgavata-Purāṇa, date du xe s. environ. Ces récits ont joué un rôle important dans le développement ultérieur de l’hindouisme. Leur mythologie, le culte de la représentation anthropo-morphique des divers aspects divins, leur panthéisme, l’émotivité passionnée qui y déferle eurent une influence considérable sur l’âme indienne et sur toutes les formes d’expression de l’art. Leur vitalité imaginative prépara de grands poètes. La vie fastueuse entretenue à la cour des empereurs Gupta favorisa les belles lettres.

Sur Kālidāsa, auteur dramatique et poète célèbre, les données biographiques dont nous disposons sont imprécises et discutables. Il semble qu’il ait vécu sous le règne de Chandragupta II (ou Candragupta II) [v. 375-v. 414] à Ujjain (Inde centrale). Auteur de poèmes épiques et de poèmes lyriques, dont le plus connu, le Nuage messager (Megadhūtam) est un chef-d’œuvre de grâce qui met au service de l’amour les divers aspects de la nature, Kālidāsa est aussi l’auteur du célèbre drame Śakuntalā. Son style incomparable, sa simplicité limpide, joints à une élégance raffinée, en font le maître incontesté du style sanskrit le plus pur.

Le roi Śudraka (ve s. env.) est l’auteur de la charmante comédie Mricchakatikam (le Chariot de terre cuite), qui pourrait être le remaniement d’un drame antérieur, attribué à Bhāsa. Cette pièce est vivante, réaliste, habilement conduite ; le dialogue est écrit dans une langue expressive, et le comique et l’humour n’y font point défaut.

Bhavabhūti (début du viiie s.) a écrit trois pièces, dont deux fondées sur le Rāmāyaṇa. Inférieur à Kālidāsa pour le style, il excelle cependant dans la peinture des sentiments tendres.

Śri Harṣa, roi de Kanauj (actuelle Laknau), était un poète de mérite qui composa trois pièces, dont la plus connue est Nāgānanda, dans laquelle se mêlent les conceptions bouddhiques et hindouistes.

Bhāravi (vie s. env.) composa, dans le genre proprement poétique mahākāvya, des poèmes épiques comme le Combat de Śiva et d’Arjuna.

Māgha (viie s.) retrace dans son Śiśupālavadham un épisode du Mahābhārata ; Buddhagoṣa (ve s.), dans un poème de dix chants, décrit la vie du Bouddha. Bhartrihari (viie s.) est connu pour trois charmants poèmes de cent vers chacun : Śringāra-śataka (De l’amour), Nīti-śataka (De l’éthique) et le Vairāgya-śataka (De la renonciation).


Les œuvres en prose

On les appelle parfois romans, mais ce sont plutôt de longs contes composés en prose de style un peu précieux. Daśakumāracarita (l’Histoire des dix jeunes hommes), attribué à Daṇḍin (vie ou viie s.), raconte les aventures de dix princes à travers toutes sortes d’imbroglios. L’intérêt de ces récits réside surtout dans les descriptions des usages et des mœurs, ainsi que dans le comportement des personnages, qui nous renseignent sur la mentalité des Indiens de ce temps.