Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Le Veda et le rituel domestique

• En tant que livre sacré, le Veda comprend : a) des recueils (saṃhitā) d’hymnes liturgiques (Rigveda, Sāmaveda, Yajurveda, Atharvaveda) ; b) des traités rituels concernant le sacrifice solennel (Srautasūtra) ou des cérémonies domestiques (Grihyasūtra) ; c) des textes en prose où le culte est justifié par référence à la mythologie (Brāhmaṇa) ; d) enfin les Upaniṣad, vouées aux spéculations métaphysiques. Tout le Veda est rédigé en sanskrit, langue indo-européenne, sœur du grec, du hittite, du latin, des parlers germaniques, celtiques, balto-slaves, etc. La religion védique est également étroitement apparentée à celle des peuples qui parlaient ces langues.

• Il existe également un rituel domestique comprenant toute une série de sacrements : imposition du nom, initiation du jeune garçon, mariage, funérailles. De plus, le foyer familial reçoit des offrandes quotidiennes dédiées aux dieux les plus importants du panthéon. De nombreux actes de dévotion privée sont possibles (vœux de toutes sortes, pénitences, etc.), mais non obligatoires, au contraire du sacrifice solennel, dont la célébration est nécessaire à qui veut faire son salut.


L’hindouisme

L’hindouisme, religion dominante de l’Inde, prend historiquement le relais du védisme, dont on ne connaît en fait que ce que l’hindouisme nous en a transmis. Ce dernier, en effet, garde l’ensemble des textes védiques à titre de Révélation, quoiqu’il ne paraisse pas y avoir de continuité d’une forme religieuse à l’autre. Cependant, après avoir cherché de diverses manières à expliquer le fossé qui sépare un védisme assez largement hypothétique de l’hindouisme tel qu’il apparaît déjà au niveau des deux grandes épopées, on est maintenant attentif aux éléments qui rattachent effectivement les croyances hindoues aux Veda : personnages mythiques, divins ou humains, relations qu’ils entretiennent, thèmes mythiques ou articles de foi. Malgré de profondes transformations et des nouveautés peut-être plus apparentes que réelles, malgré l’absence de documents qui marquent la continuité historique, on cherche donc plutôt à comprendre pourquoi l’on est passé d’un état védique à un état hindou d’une même religion. On substitue ainsi à une reconstruction de processus historiques qui nous échappent l’étude des relations que peuvent entretenir, du point de vue de leur contenu, le védisme et l’hindouisme.

C’est selon cette perspective que l’on organise ici une présentation schématique de l’ensemble, à première vue très hétérogène et touffu, qui a le nom d’hindouisme. En particulier, les hindous eux-mêmes nous fournissent très peu de données historiques qui dépassent l’intérêt événementiel dans l’immense littérature de tous ordres qu’ils ont produite au cours de plus de deux millénaires ; les textes normatifs et les mythes sanskrits (langue religieuse et culturelle des brahmanes) sont, en revanche, des sources inépuisables d’inspiration pour les littératures orales ou écrites des langues modernes de l’Inde jusqu’à nos jours. On ne forcera donc pas l’hindouisme à entrer dans un cadre historique artificiel, quoiqu’il soit possible de mettre en lumière des évolutions partielles, mais on s’attachera plutôt à le présenter comme il se voit lui-même ou se voyait encore hier, avant l’assaut meurtrier de la civilisation occidentale, dans ses valeurs essentielles et permanentes. Le postulat qui guidera ici l’exposé est que l’hindouisme est issu du caractère antithétique des valeurs védiques : ritualisme « mondain » et terre à terre d’une part, renoncement au monde d’autre part.


La bhakti

Ce qui domine l’hindouisme d’un bout à l’autre de son histoire, c’est la « dévotion » (bhakti), qui l’oppose fortement au ritualisme védique. Cette forme religieuse a couvert l’Inde de temples, mobilisé des foules de pèlerins de toutes castes et de tous les horizons, qui parcouraient ainsi l’Inde du nord au sud et d’est en ouest, tandis que l’acte essentiel de la religion védique, le sacrifice, disparaissait presque totalement de la pratique et ne gardait qu’une importance théorique.


Les grands dieux panindiens

Ce culte des temples, quotidien ou solennel, se centre d’abord autour de deux grands dieux que le ritualisme védique ne semblait pas promettre à un tel destin : Viṣṇu (ou Vishnu) et Śiva. Parce que leurs cultes respectifs ont donné lieu à des sectes violemment opposées à mesure que les siècles passaient, on n’a pas pris garde que ces deux dieux étaient avant tout complémentaires : Viṣṇu est étroitement lié dans les Veda au sacrifice, ce qui fait de lui le dieu pur par excellence des brahmanes et le défenseur de toutes les valeurs orthodoxes ; Śiva, au contraire, sous son premier nom « terrible » de Rudra, est celui auprès duquel il convient d’intercéder, dont il faut se préserver, pour que le sacrifice puisse réussir. Le premier est lié à l’espace humain, le second aux lieux sauvages, la montagne et la forêt. Ces caractères différentiels s’attachent à eux tout au long des siècles sous des symboles variés, même à l’intérieur des sectes. Ces divinités sont conçues toutes deux, au niveau ultime, comme la projection du yogin, ce type de « renonçant » que des Upaniṣad avaient propose comme idéal du religieux : c’est le Dieu suprême lui-même qui devient le grand yogin, le renonçant par excellence. Le rythme de sa vie de yogin, passant d’une phase de concentration sur lui-même à une phase de retour vers la conscience d’une réalité extérieure, fait l’alternance des « nuits » et des « jours » cosmiques, c’est-à-dire des périodes où l’univers est déployé et résorbé tour à tour. L’univers est en Dieu, et celui-ci l’émet et le recueille en lui-même régulièrement : le monde et, dans ce monde, la société humaine sont ainsi assurés de leur perpétuité ; les périodes cosmiques, d’autre part, sont mesurées par des nombres fantastiques d’années, et l’hindou, se plaçant au centre d’une de ces périodes, est toujours à une distance rassurante d’une fin (provisoire) du monde.