Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Les Britanniques ne bouleversèrent pas le découpage administratif des Moghols. C’est ainsi que le sarkar devint le district. À sa tête se trouvait un fonctionnaire responsable des impôts, de la justice et de la police. On pense aux intendants de l’Ancien Régime français. Pour assurer une bonne gestion du pays, on créa l’« Indian Civil Service » (service civil indien). Tous britanniques au début, ses membres, nommés par les directeurs de la Compagnie, furent dans l’ensemble d’une intégrité et d’une compétence d’autant plus louables que ces qualités étaient rares. Ils furent les grands artisans des succès britanniques. Plus tard, l’indianisation même modeste, de l’I. C. S. permit en partie le facile passage de pouvoirs de la métropole à la colonie en 1947 (du moins sur le plan administratif).

Jusqu’à la mutinerie, l’appareil judiciaire obéissait aux principes suivants : les juges étaient britanniques ; en matière commerciale, le droit anglais était seul en vigueur. « Impérialiste » à première vue, ce monopole avait au moins l’avantage d’établir une certaine égalité entre hindous de castes différentes. Dans un souci de non-ingérence, les Britanniques respectèrent la personnalité des lois. Ainsi, chaque juge anglais avait en matière civile des assesseurs hindous et musulmans.

Toutefois, un changement d’attitude dans la première moitié du xixe s. mena les Britanniques à considérer nombre de coutumes et d’institutions indiennes comme archaïques, voire odieuses. D’où une série de mesures ayant parfois des incidences dans le domaine judiciaire : abolition de la satī, lutte contre l’infanticide, réhabilitation civile des hindous et musulmans convertis au christianisme, etc.

Après 1858, on assista à un bouleversement du système judiciaire. Des cours d’appel furent créées dans les capitales des trois présidences. On mit au point un ensemble de codes, pénal, de procédure civile et de procédure criminelle. On assista même, avec l’appui de lord Ripon (George Robinson [1827-1909]), de 1880 à 1884, à une tentative d’intégration judiciaire. La loi Ilbert (1883) prévoyait, en effet, que les magistrats indiens pourraient juger des Européens. L’opposition aussi aveugle qu’injuste de ces derniers fit échouer une mesure qui aurait grandement satisfait l’« intelligentsia » indienne.

L’éducation constitue peut-être la meilleure approche de la politique indienne de la Grande-Bretagne. Le gouvernorat général (1827-1835) de lord William Bentinck (1774-1839) fut, à cet égard, décisif. Passé la phase de découverte et d’étude de la culture indienne avec W. Jones et Henry Thomas Colebrook (1765-1837), vint le stade de l’anglicisation. Outre de considérations politico-administratives évidentes, la culture indienne fut victime du formidable complexe de supériorité collectif qui touchait les Anglais. C’est dans ce contexte qu’il faut placer le rapport de Thomas Babington Macaulay (1800-1859), qui imposait l’anglais comme langue d’enseignement (1835). En imprégnant les futures élites indiennes de culture anglaise, on espérait ainsi les rendre politiquement moins dangereuses. La seconde moitié du xixe s. vit une grande diffusion de l’enseignement, à laquelle contribuèrent : les missions chrétiennes, avec un succès variable selon les régions ; le gouvernement britannique, qui recherchait le double but de fournir à l’Administration les employés et cadres subalternes qui lui étaient nécessaires et de répandre la culture occidentale (en 1857, Calcutta, Bombay, Madras étaient dotées d’universités, puis c’était le tour de Lahore et d’Allāhābād [Ilāhābād] ; à partir de 1880, le mouvement devait beaucoup se développer) ; les Indiens eux-mêmes et Rām Mohan Roy en particulier, qui fondèrent un certain nombre d’établissements (la Deccan Education Society), au sein desquels une certaine forme de nationalisme devait se développer.

Il est difficile de dresser un bilan de cette action. La décadence de la culture hindoue traditionnelle, fondée sur le sanskrit, fut certes aggravée, car les seuls diplômes britanniques étaient reconnus. Faut-il pour autant considérer que la culture occidentale donnée aux Indiens ne s’imposa jamais et qu’elle resta une sorte de corps étranger ? L’assertion serait trop absolue. Etriquée par le nombre de jeunes qui en bénéficiaient, la culture occidentale n’en exerça pas moins une influence considérable. L’essentiel consistait à trouver le juste milieu, et ce ne fut pas toujours le cas. C’est ce qu’exprime bien l’historien hindou A. R. Desai en critiquant avec une égale virulence la tendance « national-chauvine », qui idéalise par principe le passé indien, et l’« occidentalisme outrancier », qui ne voit dans la culture indienne qu’un ramassis de superstitions.

Néanmoins, c’est à la politique économique qu’il devait appartenir de modifier profondément la société indienne au sens le plus large. Ce sujet a été l’objet de nombreuses controverses. Pour certains, la Grande-Bretagne a pratiqué vis-à-vis de l’Inde un pillage systématique. Ainsi Brooks Adams considère-t-il que c’est l’exploitation forcenée du Bengale après 1757 qui a financé la révolution industrielle en Angleterre. Sans aller jusque-là, de nombreux auteurs voient dans la colonisation britannique la grande, pour ne pas dire la seule, cause du sous-développement de l’Inde au xxe s.

D’autres, sans nier les abus inhérents au fait colonial, pensent que, dans un pays aux structures socio-économiques arriérées, les Anglais ont eu finalement une action positive.

À la veille de la colonisation britannique, l’économie indienne peut se présenter de la façon suivante.

• L’agriculture vivrière était à peu près en équilibre. À cette époque, l’accroissement démographique était plus faible. De plus, famines et épidémies effectuaient des coupes sombres périodiques. Dans les limites de l’autarcie villageoise, le système agricole fonctionnait assez bien.

• L’artisanat, très prospère, atteignait même parfois un niveau préindustriel (cf. les manufactures textiles).