Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Mais, en fait, le secret du succès britannique doit être cherché dans la nature profonde de la mutinerie. Ce fut d’abord une crise d’adaptation sociologique. La force de l’impact britannique dans tous les domaines entraîna une réaction indienne violente, certes, mais brouillonne et qui ne proposait guère une solution de rechange politique. Jamais le mouvement ne fut vraiment national, et c’est une fois de plus la division des Indiens qui fut le meilleur atout anglais.

• Les conséquences.
L’alerte avait été chaude. Il appartenait aux autorités d’en tirer la leçon et d’éviter la répétition des maladresses qui avaient provoqué l’insurrection. Ainsi, il fallait se garder d’une répression aveugle. Malgré de nombreuses bavures (comme certaines exécutions d’Indiens dont on jugeait l’« allure » suspecte). Charles John Canning (1812-1862) tenta d’éviter le pire, ce qui lui valut le surnom de Clemence Canning (Canning la Grâce).

Il fallut aussi rééquilibrer dans l’armée de la Compagnie le rapport entre soldats britanniques et soldats indiens : un pour un dans l’armée du Bengale, un pour deux dans celle de Bombay et de Madras. Le danger passant avec les années, on assouplit ces règles, sans jamais, pour autant, revenir à une situation aussi périlleuse qu’en 1856-57.

Un changement radical de politique vis-à-vis des princes fut opéré. Hostile avec lord Dalhousie, l’attitude britannique devint très accommodante à partir de 1858. Les princes ne constituaient-ils pas le meilleur rempart entre l’autorité anglaise et un peuple toujours suspect de nationalisme ?

On s’efforça, enfin, de ne pas heurter les convictions religieuses des hindous et des musulmans en cessant de donner l’impression de cautionner les entreprises des missionnaires chrétiens.

Surtout, l’Angleterre en tira la conclusion qu’une simple société commerciale, fût-elle contrôlée par le gouvernement, ne pouvait plus assumer la responsabilité d’un si vaste empire. Aussi, après avoir proclamé la déchéance des Moghols en 1858 et exilé Bahādur chāh II en Birmanie, les Anglais prirent-ils des mesures radicales. Le Compagnie des Indes orientales, surnommée « la vieille dame de la City », se vit enlever toute autorité sur les affaires indiennes. Le gouvernement devint bicéphale : à Londres, le secrétaire d’État pour l’Inde était assisté d’un conseil aux compétences des plus restreintes ; à Calcutta, le gouverneur général devenait vice-roi des Indes. En 1877, couronnement de ce nouvel édifice, la reine Victoria devenait impératrice des Indes. Toutefois, ces mesures ne fournissaient qu’un cadre très général ; en 1861, l’« Indian Councils Act » devait en préciser les modalités d’application.

Aux termes de ce décret, le vice-roi se voyait doter d’un conseil de cinq membres, d’un juriste, d’un expert financier et du commandant en chef de l’armée. Pour toutes les questions législatives, il pouvait nommer de nouveaux membres à son conseil. Cette procédure permit, quelques années après la mutinerie, d’y faire entrer trois Indiens. Devant l’ampleur des problèmes que soulevait l’administration des Indes britanniques, il fut décidé de doter les présidences de Madras et de Bombay d’un statut semblable. Deux événements extérieurs devaient, en outre, agir sur le mode de gouvernement de l’Inde : l’ouverture du canal de Suez et la pose du premier câble télégraphique entre la Grande-Bretagne et l’Inde. En rapprochant dans le temps la métropole de la colonie, ces deux innovations raffermirent le contrôle exercé par le secrétaire d’État pour l’Inde.


L’Inde dans la diplomatie anglaise

Le cadre politique de l’action anglaise dans le sous-continent serait incomplet si on l’isolait de son support diplomatique. « Joyau de la Couronne », l’Inde fut l’objet des préoccupations constantes du Foreign Office, dont deux problèmes retinrent l’attention.

• La frontière du nord-ouest. Route traditionnelle des invasions, elle ne pouvait être négligée par les nouveaux maîtres de l’Inde. Dès lors, l’Afghanistan, d’un bien médiocre intérêt économique, revêtait une importance stratégique capitale. Il devait constituer une sorte de glacis de protection contre d’éventuelles velléités expansionnistes des Russes, dont l’attitude à cette époque se comprend bien si l’on songe que l’affaiblissement de l’Empire ottoman leur suggérait des idées de percée en Méditerranée orientale via les Détroits. Evincés de cette région après la guerre de Crimée (1854-55), les Russes reprirent leur expansion vers le sud, c’est-à-dire le Turkestan. Tachkent, Samarkand et Khiva furent occupés de 1865 à 1873. La situation diplomatique devenait sérieuse. Ayant atteint la frontière afghane, les Russes envoyèrent à Kaboul une véritable mission militaire en 1878. Les Anglais réagirent brutalement : ultimatum et invasion de l’Afghānistān. Disraeli prenait des risques, mais ceux-ci furent payants. Les Russes s’inclinèrent, et les Afghans acceptèrent la tutelle britannique sur leur diplomatie et l’abandon aux Anglais des passes menant à Kaboul. La politique conciliante de Gladstone et le temps firent leur œuvre : en 1895, un accord entre Russes et Anglais garantissait la neutralité, au moins relative, de l’Afghānistān.

• La frontière orientale. Elle posa moins de problèmes. Inquiets de la pénétration française en Indochine, les Anglais prirent des gages..., en l’occurrence la Birmanie. Le prétexte, bien banal, fut la perte, par une société commerciale britannique, de son procès, devant un tribunal birman, contre sa concurrente française. Déjà irrités par la signature, en 1885, d’un traité entre la France et la Birmanie, les Anglais passèrent à l’action. Ultimatum au souverain birman, qui le refusa ; celui-ci, rapidement battu, devait être déporté à Ratnagiri. L’année suivante, la Birmanie était annexée à l’empire des Indes.


La politique anglaise en Inde

Son impact sur la société indienne fut tel qu’il détermina en grande partie la naissance et le développement du nationalisme indien.