Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Inde (suite)

Malheureusement, nous sommes trop peu renseignés sur la civilisation de l’Indus*. Déchiffrées en 1969 par des spécialistes danois, les inscriptions de Mohenjo-Daro et d’Harappā ou, du moins, leur traduction n’ont pas encore été publiées. De toute façon, on peut penser qu’elles ne nous fourniront pas une masse de renseignements considérable. On ne peut que constater avec D. D. Kosambi qu’« il y a un fossé très net de plus de six siècles entre la fin de la civilisation de l’Indus et la toute première apparition des nouvelles cités indiennes ».

C’est l’archéologie qui nous renseigne le plus sur ces civilisations essentiellement urbaines, qui, dans le domaine de l’artisanat et du commerce, semblent avoir atteint un remarquable niveau de développement : tissage de la laine et du coton, travail des métaux (fer excepté), poterie, orfèvrerie en sont les preuves. Nous sommes, par ailleurs, certains que les villes de l’Indus étaient en relations commerciales suivies avec les pays du Tigre et de l’Euphrate, en Mésopotamie, où elles exportaient du cuivre, de l’ivoire, des perles, des tissus et des poteries. L’existence de véritables colonies de marchands indiens en Mésopotamie est un fait acquis.

Une civilisation urbaine aussi développée supposait un « hinterland agricole ». Essentiellement céréalière (blé, orge), cette agriculture semble avoir maîtrisé certaines techniques d’irrigation, en barrant les principaux cours d’eau. L’élevage aussi, à l’exception de celui du cheval, y était couramment pratiqué.

On s’accorde de plus en plus à considérer que le peuple créateur de cette civilisation aurait été dravidien, c’est-à-dire, selon la plupart des spécialistes, aurait été une branche de la race méditerranéenne à laquelle on rattache aussi les Ibères, les Étrusques, les Égyptiens, les Hittites et autres Sumériens. Dans ces conditions, les villes de l’Indus ne seraient que le rameau oriental d’une civilisation urbaine implantée en Égypte et en Mésopotamie, l’Inde étant en l’occurrence le berceau de cette civilisation méditerranéenne.

L’invasion aryenne devait, selon toute vraisemblance, mettre fin à cet âge d’or. L’Inde du Sud jouait dès cette époque le rôle, qui devait lui échoir plusieurs fois par la suite, de refuge ou de conservatoire d’une certaine civilisation (dravidienne face à l’irruption des Aryens, hindoue face à la conquête moghole).


L’invasion aryenne

Cette migration, qui n’affecta pas le seul sous-continent indien, devait, plusieurs siècles durant, en modifier considérablement la physionomie.

Aryen vient du sanskrit árya, qui signifie « noble » ou « libre ». Ce vocable désigne en fait une réalité ethnique difficile à cerner. On peut penser qu’il n’a de signification réelle que dans le domaine linguistique. À défaut de restes archéologiques, c’est en effet l’étude des langues qui constitue notre seul point de repère. Une étude comparée de leurs différents idiomes permet de conclure que le foyer d’origine de ces peuples aryens se situait quelque part entre l’Asie centrale et le nord de l’ensemble eurasiatique. Leurs migrations seraient à mettre en liaison avec les grandes oscillations climatiques du Quaternaire. Les géographes pensent, en effet, que le climat du Turkestan aurait changé : de tempéré, il serait devenu aride, obligeant ses occupants, guerriers et éleveurs nomades, à la longue migration que l’on appelle invasions aryennes.

Venus par les cols du Nord-Ouest et notamment par la célèbre passe de Khaybar, point faible de la défense naturelle du sous-continent, les divers clans (Bhārata, Pūru) soumirent peu à peu les anciens occupants, les Dāsa.

Trois remarques doivent compléter le schéma général : la limite des monts Vindhya ne fut pas franchie ; ce n’est qu’au viiie s. av. J.-C. que les marges orientales de la plaine gangétique furent atteintes ; cette conquête ne se fit pas sous une forme unitaire, mais aboutit au contraire à la création de multiples principautés, le plus souvent rivales, qui ne devaient s’unifier qu’au ve s. av. J.-C.

Dès lors, le sous-continent devait voir se dérouler deux démarches parallèles : développement de l’influence aryenne au nord, maintien de la civilisation traditionnelle en Inde du Sud.


La société sous la domination aryenne

Dans leur aire de conquête, les Aryens n’allaient pas tarder à constituer une classe de seigneurs (comme les Francs par rapport aux Gallo-Romains) se différenciant des premiers occupants par la religion, les mœurs, les structures sociales et... la couleur de la peau. Mais, à l’intérieur même du groupe aryen, se révélait une stratification sociale assez rigide.

Le groupe le plus bas, celui des sūdra, formait une sorte de propriété collective du clan ou de la tribu, au même titre que le bétail.

Au-dessus, on trouvait par ordre croissant les trois groupes, ou castes, supérieurs :
— vaiśya, primitivement éleveurs et cultivateurs, qui devinrent par la suite presque exclusivement commerçants ;
— kṣatriya, guerriers et détenteurs du pouvoir politique ;
— brāhmaṇa (ou brahmanes), titulaires de la fonction sacerdotale et, par extension, de la fonction enseignante.

On est ici en présence d’un clivage essentiel de la société indienne. Cette division en quatre grands groupes appelés varṇa (mot sanskrit qui signifie « couleur ») devait, par divisions successives, donner le système des castes, ou jāti.

En fait, cet accouchement de la théorie des varṇa et, par extension, du système des castes fut laborieux, d’autant plus que l’assise matérielle et sociologique de cette nouvelle civilisation était bien rétrécie.

En ces premiers siècles de leur domination, les Aryens n’avaient pas encore atteint le stade de l’urbanisation. L’unité sociale de base était encore le grāma, terme désignant à l’époque un groupe de familles et plus tard le village.

Le grāma n’est encore qu’un groupe nomade se déplaçant avec ses śūdra et son troupeau sous la domination d’un grāmaṇī. Non seulement les rivalités entre grāma étaient fréquentes, mais la notion de royauté ou de souveraineté, elle-même, était bien floue, et, de toute façon, les pouvoirs du chef (rājā) étaient nettement délimités par une sorte de droit coutumier.