Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

inconscient (suite)

« Le noyau de l’inconscient est constitué par des représentants de la pulsion qui veulent décharger leur investissement, donc par des motions de désir » (1915). La pulsion, d’origine somatique, meut le système, mais reste cependant en dehors des canalisations qui l’endiguent : le refoulement ne l’atteint pas ; il n’atteint que les « délégués » ou « rejetons » de la pulsion, ses représentants psychiques, représentant-représentation et affect. La décharge, le désir, le but de la pulsion impliquent un déroulement des effets de la pulsion : si l’inconscient comme tel est intemporel, il entraîne, cependant, une histoire. Celle-ci se constitue en trois étapes : le refoulement originaire, qui inaugure la fixation entre pulsion et représentant de la pulsion ; le refoulement après coup (que Freud appelle « refoulement proprement dit »), qui porte sur les émanations de ce représentant déjà fixé ; enfin, le retour du refoulé, par lequel cette histoire fait irruption dans le temps du conscient sous forme d’actes lacunaires, qui prouvent le fonctionnement de l’inconscient. L’histoire du refoulement, seule histoire possible pour l’inconscient freudien, consiste à combler une distance, celle de l’« essence du refoulement » : « Mettre à l’écart et tenir à distance du conscient » (1915). Mais l’inconscient est histoire par une autre voie : « On peut comparer le contenu de l’inconscient à ce qui serait, dans le domaine psychique, une population aborigène. S’il existe chez l’homme des formations psychiques héritées, quelque chose d’analogue à l’instinct des animaux, c’est là ce qui constitue le noyau de l’inconscient » (1915). Ainsi l’inconscient est-il la condition même de toute histoire, collective et individuelle : pour l’individu, il préface l’histoire de sa vie, témoin d’une histoire qui s’est transmise dans l’ordre de la collectivité. L’inconscient est donc bien trace, mais trace à l’origine, immédiatement effacée par le refoulement et destinée à réapparaître sous forme d’actes manques, de névrose, de folie.


Positions de l’inconscient

Du fait même que l’inconscient ne se laisse pas connaître en tant que tel, du fait qu’il n’est accessible que par ses dérivés, il entre dans un certain rapport avec les autres instances psychiques construites par Freud. L’ensemble de ces systèmes constitue la topique freudienne, terrain où l’inconscient a sa place avec le conscient et le préconscient : il demeure dans tous les cas séparé par la censure et du préconscient et du conscient. L’appareil psychique décrit le mécanisme de circulation bloqué entre les trois systèmes. Place décisive de l’exclusion : l’inconscient est à la fois dans le système topique et en dehors, comme l’instinct des animaux est hors de l’humanité.

La lecture de Freud par Lacan reprend et déborde la topique freudienne ; elle la reprend en s’attachant au fonctionnement du langage, preuve de l’inconscient, et en tentant une topologie différente de la topique qui situe des lieux psychiques, mais attentive à la même préoccupation : déterminer l’inconscient comme cause. Le système que Lacan élabore autour de l’inconscient, outre la définition déjà citée, tient en deux énoncés corollaires l’un de l’autre : l’inconscient est le discours de l’Autre, d’une part, et l’inconscient est structuré comme un langage, d’autre part. Du rapport entre ces deux énoncés naît la nécessité de la psychanalyse. Que l’inconscient soit discours, Freud déjà le disait, même sous une forme négative, lorsqu’il prouvait l’existence de l’inconscient par les seuls effets de manque dans le discours, la nouveauté de Lacan consiste à attribuer ces manques à la cohérence d’un autre discours, discours de l’Autre. C’est en fait un tour de langage. Car l’Autre, en un premier sens, c’est l’inconscient. En un second sens, sans doute plus important dans le système de Lacan, l’Autre prend des figurations : le père, origine de la parole ; la loi, qu’il tient dans la famille et la culture ; l’ordre symbolique, sans lequel aucun échange ne peut exister, fût-il silencieux. La topique lacanienne introduit le sujet, titulaire des systèmes psychiques décrits par Freud, support des effets de l’inconscient ; ce sujet est structuré, écartelé entre trois points qui le définissent : l’Autre, place du symbolique ; l’objet a, indéterminé, place du réel, de la pulsion, du partiel ; et l’idéal du Moi, place de l’imaginaire, lieu des variables individuelles. L’inconscient, c’est aussi bien l’Autre à sa place que la structuration elle-même, qui, barrant le sujet d’une méconnaissance radicale, fait advenir ce que Freud appelait l’Ichspaltung, le clivage du Moi, la scission. Le sujet dépend de l’inconscient ; mieux, l’hypothèse de Freud vient des manques dans son discours rationnel. La parole, celle qui tient compte de l’inconscient, celle qui, de ce seul fait, est vraie, ne peut passer que par l’Autre : l’Autre discours, apparente incohérence, et cohérence à découvrir, l’Autre père, l’Autre analyste. Entre le sujet et l’Autre, l’inconscient coupe le circuit, qui cependant n’est rien qu’une coupure : « béance, battement », bord. Ce circuit de coupure s’inscrit dans une topologie : espace dans lequel l’endroit et l’envers n’ont plus de sens, dans lequel la « profondeur » de l’inconscient privatif n’a plus cours.

« Le sésame de l’inconscient est d’avoir effet de parole, d’être structure de langage », dit Lacan. Ce langage possède une rhétorique ; là où Freud dénomme les fonctionnements du processus primaire condensation et déplacement, Lacan retrouve des procédés de langage consignés dans la rhétorique latine : métaphore et métonymie. C’est dire qu’il n’y a pas d’autre langage que le langage lui-même, qu’il n’y a pas de langage de l’inconscient : l’inconscient est structuré comme un langage, mais, simple coupure, il ne dit rien, il fait parler. Ou, comme le dit ailleurs Lacan, il cause : au sens où il est la cause du sujet. Il cause l’enchaînement des signifiants du langage, chacun d’eux représentant le sujet pour un autre signifiant : le sujet est entre les éléments du langage, qui le parle. Lacan tire toutes les conséquences épistémologiques et logiques de la découverte freudienne de l’inconscient : la dépossession du sujet ne se tient plus seulement dans la conscience, réduite à une partie de la raison, mais elle s’étend jusqu’au langage. Car ce n’est plus le sujet qui tient un langage, mais le langage qui tient le sujet : « L’aliénation est le fait du sujet. Dans un champ d’objets, aucune relation n’est concevable, qui engendre l’aliénation, sinon celle du signifiant » (« Position de l’inconscient », Écrits, 1966.) Or, l’aliénation provient de l’inconscient : effet de langage, il introduit dans le sujet « le ver de la cause qui le refend ».