Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

inconscient (suite)

Tel est l’inconscient de la philosophie, mais aussi de la poésie romantique qui servit à Freud de support culturel : « L’inconscient est véritablement le domaine le plus étendu de notre esprit, et précisément en raison de cette inconscience, notre Afrique profonde dont les frontières inconnues de nous s’étendent peut-être à l’infini [...]. N’y aurait-il pas une face cachée de la lune de notre esprit qui ne se tourne jamais vers la lumière de la conscience ? » (Jean-Paul Richter). Freud oppose délibérément à l’inconscient privatif l’inconscient comme fait psychique : c’est là la première évidence, celle qui annule l’effet de sécurité du cogito cartésien. « La plupart des gens possédant une culture philosophique, écrit Freud en 1923, sont absolument incapables de comprendre qu’un fait psychique puisse n’être pas conscient, et ils repoussent cette idée comme absurde et en contradiction avec la simple et saine logique. » C’est là le premier sehibboleth (signe de reconnaissance employé par les Hébreux dans l’Antiquité judaïque) de la psychanalyse : le mot de passe, le signe de reconnaissance, c’est d’admettre que les éléments psychiques sont aussi inconscients. La découverte freudienne de l’inconscient comporte une démarche irréductible : l’inconscient conserve une trace inscrite par un événement qui peut et s’effacer et réapparaître. L’inconscient que Freud met au jour est inséparable du refoulement, qui en définit le fonctionnement.

Jacques Lacan*, définissant l’inconscient, résume les deux aspects de l’inconscient freudien dans sa nouveauté : ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. « L’inconscient est un concept forgé sur la trace de ce qui opère pour constituer le sujet. L’inconscient n’est pas une espèce définissant dans la réalité psychique le cercle de ce qui n’a pas l’attribut (ou la vertu) de la conscience » (« Position de l’inconscient », Écrits, 1966).

Ce que l’inconscient freudien n’est pas, nous venons de le voir en suivant le chemin philosophique. Mais, quant à ce qu’il est, il faut retenir trois éléments décisifs : l’inconscient est un concept forgé, et relève donc d’un certain outillage scientifique ; l’inconscient est le concept d’une trace et c’est donc une inscription qui s’effectue ; cette trace est celle d’un événement qui structure le sujet.


L’hypothèse freudienne

Nous prendrons comme base d’analyse le texte que Freud consacre à l’inconscient dans la série de textes réunis sous le nom de Métapsychologie (1915) : Freud s’y essaie à une démarche théorique de fondation de cette notion et pose d’abord l’inconscient comme une hypothèse qui s’appuie sur des preuves. Ce sont ces preuves qui rendent inévitable la notion d’inconscient : preuves multiples, que Freud a rencontrées dès le début de sa recherche. Troubles hystériques, fixations psychosomatiques, actes manques, lapsus du temps quotidien, rêves, déformations, scénarios qui établissent un rapport tordu au réel, tous ces signes cliniques parsèment le déroulement des maladies et plus généralement le comportement d’une vie d’homme. La plupart de ces signes sont lacunaires et marquent la prégnance de la discontinuité du conscient. Mais Freud note aussi l’existence de « résultats de pensée » conscients et inexplicables : ce qu’ils indiquent est alors l’existence d’une autre cohérence et non plus seulement l’existence d’une incohérence cause de manquements au raisonnement. « Tous ces actes conscients demeurent incohérents et incompréhensibles si nous nous obstinons à prétendre qu’il faut bien percevoir par la conscience tout ce qui se passe en nous en fait d’actes psychiques ; mais ils s’ordonnent dans un ensemble dont on peut montrer la cohérence, si nous interpolons les actes inconscients inférés. » L’interpolation des incidences de l’inconscient, seules preuves de son existence, est le premier acte de sa construction.

Mais, avant de pouvoir situer l’inconscient dans une topique, donnons ses propriétés. Voici comment Freud les définit : « Absence de contradiction, processus primaire (mobilité des investissements), intemporalité et substitution de la réalité psychique à la réalité extérieure, tels sont les caractères que nous devons nous attendre à trouver aux processus appartenant au système inconscient » (1915).

Absence de contradiction : l’inconscient ne connaît ni la contradiction, ni le doute, ni la négation, pas plus que leur contraire, l’affirmation, la certitude. C’est sans doute la différence fondamentale qu’il présente avec les systèmes préconscients et conscients : mais si la négation existe dans le conscient, moteur du raisonnement et principe discursif par excellence, c’est cependant grâce à l’absence de négation de l’inconscient. Car la négation (Verneinung), qui, en allemand, signifie aussi « dénégation », est l’expression d’une résistance à l’inconscient : dire, en cours de cure, « je n’ai pas pensé cela » est l’indice du contraire. La négation désigne ce qui, dans l’inconscient, ne peut pas passer dans le conscient ou n’y peut passer que sous la forme déformée du refus. Intemporalité : « Les processus du système inconscient sont intemporels, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas ordonnés dans le temps, ne sont pas modifiés par l’écoulement du temps, n’ont absolument aucune relation avec le temps » (1915). Ainsi, le temps, conçu comme ordonnancement des événements, comme succession rationnelle, n’a pas cours dans l’inconscient, qui se situe avant tout ordre, et coupe toute continuité. « La relation au temps, elle aussi, est liée au travail du système inconscient. » En fait, l’absence de temps et l’absence de logique dépendent de la même cause, qui s’exprime dans les deux autres caractères : non-soumission de l’inconscient à la réalité, processus primaire. Ce processus désigne, en effet, le fonctionnement de l’inconscient, sa logique propre, qui ne relève pas du principe de contradiction : déplacement et condensation, que Freud met en évidence dans le travail du rêve essentiellement, en sont les principaux mécanismes. Le principe de plaisir, hors du réel, régit l’inconscient, dans lequel règne « une beaucoup plus grande mobilité des intensités d’investissements », écrit Freud. C’est alors qu’il faut introduire, pour comprendre la nature du concept freudien, la notion de pulsion (Trieb) et ses moyens d’expression : les représentants de la pulsion.