Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

analyse de contenu (suite)

La technique

Il est admis que toute analyse de contenu doit passer par trois phases : chercher les caractéristiques du contenu lui-même ainsi que sa forme ; analyser et caractériser les facteurs de l’émission ; interpréter le message dans ses effets, afin d’envisager l’accueil qui lui est réservé. Les trois démarches fondent une technique de recherche visant à la découverte des liaisons significatives, en dehors du contenu manifeste du message.

Cette explication appelle plusieurs remarques. Toute communication suppose l’existence d’un « émetteur », qui produit un message. Celui-ci est doté d’un contenu et d’une forme ; il véhicule une certaine quantité d’informations destinée à atteindre un certain but ; un message peut s’adresser à un ou plusieurs récepteurs.

Parmi les divers objectifs que se propose l’analyste (B. Berelson a distingué jusqu’à 16 usages possibles), il faut d’abord s’arrêter sur l’étude de l’émetteur. Deux cas peuvent se présenter : ou bien l’on étudie la réaction de l’émetteur au stimulus provoqué par l’observateur, et c’est ce qui se produit lors d’un entretien thérapeutique dirigé par un psychologue ; ou bien (et c’est le cas le plus fréquent) l’analyste ne peut agir sur le responsable du matériel qu’il étudie, et il lui faut alors inférer, à partir d’un contenu inchangeable, certaines caractéristiques de ses auteurs.

Puis on entre dans l’étude du message lui-même. Les recherches dans ce domaine sont nombreuses et, d’une certaine manière, ce sont les plus originales. Ici, l’analyse de contenu peut servir à découvrir les tendances d’une évolution. Ainsi, Jakobson et Lasswell, analysant les slogans du Premier-Mai en Union soviétique, ont découvert que les formules avaient changé de nature au cours d’une certaine période de temps ; les symboles révolutionnaires de portée universelle ont été progressivement remplacés par des mots d’ordre à résonance nationale. Citons encore la recherche de V. Isambert-Jamati, qui met au jour le changement des valeurs sociales exaltées par l’école au cours du dernier siècle, au moyen d’une analyse de contenu des discours de distribution des prix.

À qui parlent les émetteurs du message ? À ceux qu’on appelle les « récepteurs ». Ces derniers ne sont pas toujours évidents. Au-delà d’interlocuteurs apparents, nombre de discours s’adressent en fait à d’autres, qui, pour n’être pas expressément désignés, n’en sont pas moins visés.

Quand on interroge le contenu d’un message en lui posant la question « comment ? », on est à la limite de l’analyse quantitative. La plupart du temps, il s’agit d’étudier ici les moyens par lesquels le message cherche à produire, ou produit effectivement, une impression. Les risques de subjectivité, en l’espèce, peuvent être réduits par une analyse quantitative des éléments qui concourent à produire un effet : les effets rhétoriques d’accentuation, de répétition, etc., peuvent se prêter à une telle étude. Si les catégories restent qualitatives, il est toujours possible d’en pondérer les données : l’analyse du matériel de propagande d’un parti totalitaire, par exemple, peut aboutir à la conclusion que la catégorie « appel émotionnel » en rend compte de façon majeure ; mais l’importance relative de ce caractère pourra varier significativement d’un pays à l’autre, le parti restant formellement le même.

Enfin, il faut se demander quel est l’effet du message sur ceux qui le reçoivent. On peut étudier les réponses de lecteurs à un article de presse, ou les effets d’un film sur ses spectateurs. Dans une enquête célèbre, Cantril a analysé en détail les phénomènes déclenchés par un programme radiodiffusé de science fiction qui annonçait l’invasion de New York par des Martiens. L’étude peut avoir un but de prévision, quand il s’agit d’envisager le retentissement d’une campagne électorale ou publicitaire. Inversement, on peut, la stratégie générale d’un émetteur étant supposée connue, tenter de déceler ses objectifs, ses buts cachés, à travers le contenu manifeste de ses messages.

Technique relativement récente, l’analyse de contenu a beaucoup évolué lors de la dernière période. Les premiers essais se bornaient à analyser l’acte de communication isolé de son contexte. Ultérieurement, le contenu a été envisagé dans le cadre d’une analyse multidimensionnelle, prenant en considération les facteurs qui affectent aussi bien la production que la réception du message. Ainsi, on se soucie de plus en plus de l’émetteur, on cherche tout ce qui peut avoir trait à la situation sociale de celui-ci (cf. l’étude de Lazarsfeld sur les divers types de personnes qui « font autorité » dans une petite ville).

Le travail le plus important est celui, préalable, de conceptualisation. Avant d’entreprendre une analyse de contenu, il faut savoir clairement ce qu’on cherche, préciser l’objet et les hypothèses faites sur celui-ci : la valeur de l’analyse dépendra ensuite de l’exactitude avec laquelle cette conceptualisation peut être traduite en variables dans le plan d’analyse. Ainsi s’imposent un certain nombre d’opérations :
1o le choix des catégories. C’est la démarche essentielle de l’analyse de contenu, comme le souligne Berelson, pour qui « une analyse de contenu vaut ce que valent ses catégories » ;
2o la quantification du contenu. Pour manipuler scientifiquement le contenu étudié, il faut réduire sa totalité brute en un nombre fini d’unités homogènes pouvant être classées chacune dans l’une des catégories retenues. Le choix du type d’unité à retenir pour la quantification est fonction de l’appréciation par le chercheur du type de messages auquel il a affaire.
a) La première unité d’analyse est l’unité d’enregistrement. C’est un segment de contenu, de nature définie, que l’on caractérise en le classant dans sa catégorie. À la limite, l’unité peut être le « mot » ; on choisit généralement comme unité le « thème ». Le découpage par thèmes n’offre qu’une faible garantie de fidélité ; un même thème s’offre à des expressions très diverses et, parfois, implicites ; plusieurs thèmes peuvent se trouver mêlés, etc. Toutes ces difficultés amènent souvent des écarts d’appréciation graves d’un analyste à l’autre.
b) L’item, au sens large, désigne un document isolé sous la forme où il est donné : lettre, manifeste, entretien. Il sert alors à distinguer un élément parmi tous ceux qui constituent le matériel étudié, quand celui-ci est multiple. Mais « item » peut être également utilisé au sens étroit de ce mot, pour signifier « une unité d’enregistrement » (quelle qu’elle soit).
c) L’unité de contexte constitue le cadre de référence, à l’intérieur du contenu, auquel l’unité d’enregistrement peut être rapportée : par exemple, un thème devra être compris dans le contexte de son paragraphe. L’unité de contexte ne se prête pas à une quantification rigoureuse.
d) L’unité de numération, contrairement aux deux précédentes unités, ne se repère pas à la signification de ce qu’on veut quantifier, mais à la façon dont on va compter.