Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

Ibos (suite)

L’ethnie ibo constitue un seul peuple malgré son absence d’unification politique. En effet, il n’existe pas d’autorité centralisée. Les variantes dialectales et culturelles trouvent leur confirmation dans l’existence de traditions élaborées concernant l’origine ou la migration commune des Ibos. Malgré ces caractéristiques évidentes, il faut souligner le développement d’une stratification sociale supravillageoise, liée notamment au commerce des esclaves et à leur intégration dans la sphère de la production. Les hommes riches et puissants (souvent grands propriétaires d’esclaves) apparaissent comme les dirigeants politiques locaux de fait, alors que l’autorité locale est théoriquement formée des aînés des lignages. Le développement du commerce des esclaves, puis celui de la traite de l’huile de palme ont permis l’apparition d’institutions reliant les groupes ibos sur des bases aussi bien rituelles et religieuses que politiques et militaires. Le degré le plus élevé d’intégration et de domination politique fut atteint par les organisations d’oracles, dont le plus influent et le plus connu était l’oracle Ibini Okpabe des Aros Chukus. Les Aros, qui étaient un groupe de commerçants spécialisés, purent ainsi contrôler les grandes voies intérieures du commerce et les marchés les plus importants.

L’unité sociale de base était le patrilignage exogame. Son chef (okpara) était également le chef rituel du culte des ancêtres lignagers. Il avait un rôle d’arbitre et possédait un bâton symbolisant l’autorité des ancêtres. Ce système se marque par une tendance à l’exogamie de village et à la scission des lignages. Mais la cohésion du village a diminué avec l’augmentation de la population et la suppression, par le pouvoir colonial britannique, des fonctions judiciaires et politiques des aînés. Il existait une organisation de classes d’âge sur une base villageoise qui assurait des fonctions communautaires : les jeunes entretenaient les villages et les sentiers, et les anciens assuraient la police des marchés. La terre appartient à la communauté, et son usage est contrôlé par celle-ci. Chaque membre devrait être possesseur de terre et avoir une tenure assurée. Mais l’augmentation de la population empêche les transferts fonciers, jadis assez courants. Un groupe de villages s’organisait autour d’un sanctuaire et d’un marché, et comprenait environ 4 500 personnes.

Au niveau de la culture agricole, ce sont le manioc et l’igname qui dominent. Le maïs, les haricots, les pois font également partie de l’alimentation. Il y a peu de bétail (à cause de la mouche tsé-tsé) et de chasse. La pêche est surtout pratiquée dans la région du delta et des affluents du Niger. Enfin, depuis près d’un siècle, on cultive le palmier à huile à des fins d’exportation commerciale. Le travail de la forge était connu, et l’importance du domaine commercial a donné naissance à des monnaies locales.

Les Ibos révéraient les forces naturelles. Ainsi, Ale (la Terre) était source de fécondité. Son culte impliquait des fonctions quasi judiciaires, et il était une des forces d’intégration sociale les plus puissantes. On croyait que les ancêtres étaient des agents d’Ale et qu’ils étaient doués du pouvoir de réincarnation. Dans la région du Sud, l’esprit suprême était Chuku, qui amenait la pluie et la fertilité ; il ne possédait pas de symbole particulier. Les sanctuaires avec leurs oracles jouaient un rôle important, et leur culte était assuré par des groupes d’esclaves achetés à cet effet. Enfin, les Ibos ne semblent pas avoir connu la sorcellerie. Cette vie religieuse a suscité une architecture et une statuaire remarquables.

Mais, comme l’expliquait en 1950 G. I. Jones, le système social ibo est mal adapté aux conditions actuelles : la répartition inégale de la population, sa forte densité empêchent toute amélioration économique réelle, et les villages se réduisent à des réservoirs de main-d’œuvre. Cette situation permanente de crise sociale, démographique et économique est un des facteurs internes qui ont provoqué la guerre civile récente (v. Biafra). Cependant, la position des Ibos dans l’ensemble administratif et économique du Nigeria est un autre facteur explicatif. En effet, l’absence apparente de pouvoir politique et l’existence d’une religion animiste ont facilité la domination britannique, particulièrement intéressée par cette région assez riche (huile de palme). Cette attitude s’est traduite par une importante scolarisation et une christianisation tout aussi étendue. C’est pourquoi les Ibos ont constitué presque naturellement, pourrait-on dire, les cadres (administratifs et militaires) du Nigeria indépendant. Cette prééminence sociale à l’échelle nationale, jointe à un dynamisme économique, rapidement converti dans le secteur moderne du commerce et de la production, entrait évidemment en contradiction avec la domination numérique haoussa et la crise locale du pays ibo surpeuplé. Il est certain que la guerre du Biafra a modifié considérablement les données du problème, en les aggravant à cause des destructions dans le domaine de la production agricole. Une telle situation, enfin, suscite des changements sociaux rapides susceptibles de faire disparaître les caractéristiques sociales propres à l’ethnie ibo.

L’histoire

Le pays ibo semble avoir été de tout temps surpeuplé. Il a fourni à la traite les plus gros contingents d’Afrique (776 400 esclaves, soit 30 p. 100 du total de la traite anglaise entre 1690 et 1807). De véritables États commerçants se développèrent chez les petites ethnies côtières (Ijos, Ibibios, Efiks), qui servaient d’intermédiaires entre les négriers européens et les marchés ibos de l’intérieur. La traite resta active dans les innombrables bras du delta du Niger jusque vers 1830. Elle fut alors relayée par le commerce de l’huile de palme.

Les missionnaires, qui, par leurs écoles, devaient transformer si profondément un peuple jusque-là fermé aux influences extérieures, ne commencèrent à pénétrer le pays qu’en 1888. Une révolte sous l’égide d’une société secrète, l’ekumeku, en 1898, n’aboutit qu’à une répression qui ouvrit plus largement le pays aux missions. Impressionnés par le succès de leurs vainqueurs, rapidement conscients des avantages matériels de l’éducation occidentale, les Ibos se convertirent très vite et massivement. Le Nigeria oriental comptait 18 500 chrétiens en 1910, 514 000 en 1920 et 4 millions en 1960.

Les Ibos surent profiter de toutes les chances de promotion ouvertes aux scolarisés par le développement économique. Ils émigrèrent vers les villes, tout particulièrement celles des émirats du Nord, pour occuper les emplois auxquels les musulmans, figés dans leurs traditions, étaient inaptes.