Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
I

ibn Khaldūn (‘Abd al-Raḥmān) (suite)

Le plan suivi dans les six parties qui composent cet ouvrage montre qu’ibn Khaldūn ne détache pas les événements socio-politiques du milieu où ils se développent. L’auteur reprend à son compte la division ptolémaïque du monde habité en sept climats, dont les différences expliquent la diversité de l’espèce humaine, de son genre de vie, de ses aptitudes à évoluer selon des lois naturelles. Ainsi, le monde créé n’est pas immuable, mais soumis au contraire à une perpétuelle adaptation. L’histoire est, en conséquence, l’étude de la société humaine en sa forme la plus complexe, signifiée par le mot ‘umran (« civilisation »). Ce vocable prend chez ibn Khaldūn une valeur particulière et, par son ambiguïté, permet à l’auteur d’envelopper dans son propos tout ce qui concerne les phénomènes socio-politiques : l’observation du présent, la réflexion sur les causes des événements passés, l’existence de lois naturelles constituant le prolongement logique d’une création volontaire par Dieu. Partant de ses expériences personnelles et de ses méditations sur le passé de la Berbérie, remontant de proche en proche aux « antiquités » orientales par l’étude du monde arabo-islamique, ibn Khaldūn parvient à définir les stades par lesquels la société humaine s’est élevée jusqu’à la formation d’États policés. Au départ se situe la tribalité primitive, où se développe la ‘asabiyya, ou « esprit de corps » senti comme un élément dynamique assurant la cohésion du groupe et sa force d’expansion ; dès que celle-ci touche à son apogée, s’affirme une autorité pouvant prendre la forme d’une souveraineté personnelle : l’État est né, et, pour répondre à ses besoins de survie, son appareil administratif se diversifie, sa force armée s’organise, ses institutions se définissent ; une loi religieuse achève de cimenter cet ensemble. L’épanouissement de la vie urbaine est la suite logique de cette évolution socio-politique ; par elle, l’homme s’élève à la pratique des arts et à l’approfondissement des sciences, mais, par voie de conséquence, la mollesse s’introduit en lui et l’esprit de corps disparaît pour laisser place à d’autres forces engendrant la décadence. Dans cette conception cyclique de l’histoire, ibn Khaldūn se montre respectueux de certains thèmes socio-politiques hérités de la Grèce. Par bonheur, son souci constant de ne jamais rompre avec le « donné » global de l’histoire telle qu’il la conçoit l’amène à s’interroger sur la réalité des causes qui peuvent modifier ou infléchir le développement de cette courbe ascendante et descendante. Par cette voie, il met en lumière un trait commun aux dynasties berbères, dont il retrace l’histoire dans sa Chronique universelle ; en trois générations, celle-ci parcourt le cycle de leur ascension, de leur épanouissement et de leur décadence, et, à chaque fois, ce processus trouve son explication dans l’existence de l’« esprit de corps », dans son affaiblissement et dans sa disparition. Que cette théorie ne trouve pas sa vérification en d’autres lieux et à d’autres époques est évident. Il n’en reste pas moins que, pour la première fois dans la pensée de l’islam, le déterminisme historique est parvenu à se sentir comme une doctrine procédant uniquement de l’analyse objective des événements et du milieu. Ibn Khaldūn sent très bien la diversité, l’interdépendance et le jeu contradictoire des causes ; Dieu, pour lui, n’est pas le seul maître de ce développement des faits humains ; rien, toutefois, n’apparaît et ne meurt dans le cours de l’histoire sans le concours de causes déterminées par la divinité. La critique moderne, surtout en Orient, a eu beau jeu de mettre en vedette la place qu’ibn Khaldūn a faite à l’économie dans son étude de la civilisation ; il a été en particulier aisé de souligner les passages où ce penseur de génie a établi les rapports existant entre les modes de production, les échanges, le niveau de vie et la vie intellectuelle. Sans nul doute, il y a là une prescience des postulats essentiels du marxisme. Il convient, toutefois, de ne pas perdre de vue qu’ibn Khaldūn demeure un esprit fidèle au mode de raisonnement régissant la pensée de son temps ; sa démarche reste étroitement syllogistique. Le fait capital dans son système — et on ne saurait trop y insister — est que, chez lui, on part de faits observés et non de données abstraites, et que la démonstration ne vaut que par ses liens avec l’analyse du réel. Enfin et surtout, ibn Khaldūn est un encyclopédiste au sens le plus fort du terme ; dans les chapitres où il établit la liaison existant entre les différentes sciences constituant la culture humaine, il révèle un approfondissement de son propos qui confond par sa sûreté et par son ampleur. Mû par le besoin « de comprendre et d’expliquer », il a érigé, selon l’expression de R. Brunschvig, « une véritable philosophie de l’histoire [...] assise sur la triple base de l’érudition, de l’expérience et de la raison ».

R. B.

 Y. Lacoste, Ibn Khaldoun. Naissance de l’histoire, passé du tiers monde (Maspéro, 1966 ; 3e éd., 1971). / N. Nassar, la Pensée réaliste d’Ibn Khaldūn (P. U. F., 1967). / M. A. Lahbabi, Ibn Khaldun (Seghers, 1968). / M. Talbi, « Ibn Khaldūn », dans Encyclopédie de l’Islām, t. III (Brill, Leyde et G. P. Maisonneuve et Larose, 1968).

Ibos

Ethnie du sud-est du Nigeria.


Elle occupa une région écologiquement hétérogène, qui passe de la mangrove à la forêt, puis à la savane. La population ibo est assez importante (plus de 5 millions de personnes), mais sa spécificité démographique réside dans sa densité élevée. C’est en effet chez les Ibos, semble-t-il, que l’on trouve les densités de population les plus fortes de l’Afrique noire. La moyenne est de 400 personnes au kilomètre carré, mais il existe des zones où la densité dépasse 1 000 personnes. Cette situation est évidemment liée aux conditions naturelles et à la mise en valeur du sol.